Tu es là mais nous ne sommes pas là. Nous sommes dans cet espace, chez moi, dans lequel, si c’était un rêve, tu flotterais peut-être. La conversation ne parvient pas à s’installer. Il y a quelque chose qui la retient, c’est souvent le cas lorsque je suis chez toi, mais ce quelque chose, là, maintenant, c’est ce qui fait que tu m’as écrit ce matin ; je crois que nous ne rions pas. Tu fais la remarque de l’absence d’un écran de télévision, tu ne poses pas de questions lorsque je te dis que je suis content de la semaine de vacances qui vient de passer, parce que notamment j’ai fini la maquette d’un des livres et que j’ai repris l’écriture d’un autre. Je suis alors gêné d’en parler, parce que tu n’auras pas cette place, tu n’auras pas ton livre ; peut-être verras-tu plus tard, sur mon bureau, alors que tu seras installé pour travailler un peu, une sortie papier sur laquelle s’affiche ce titre qui parle d’amour et que j’ai laissé sans y prendre garde. Tu t’étonnes aussi des livres qui ornent le mur du salon, tant de livres, tu dis que toi, une fois que tu les as lus, tu ne les conserves pas. Tu t’étonnes que parfois je les relise. C’est rare, mais ça arrive. J’ai surtout besoin de les avoir près de moi, qu’ils soient là, ainsi quand mon regard les croisent, j’ai le souvenir de l’émotion qu’ils m’ont procurée. Souvent, vois-tu, je ne me rappelle que cela : les personnages n’ont plus de noms, plus d’histoires, plus de contours. Il m’en reste, quelque part, une petite musique. Comme vous. Mais oserais-je dire que parfois, vous non plus, vous n’avez plus de noms ?