Vendredi 21 mai 2021

« Comme il galope », dit à part soi la tenancière de l’auberge, tout en tournant lentement la tête. Elle regardait par la fenêtre. Aucun des hommes qui se tenaient dans la salle à boire n’avait réagi à ces mots, aucun d’eux n’y avait prêté la plus petite atten-tion, chacun restait sur son quant-à-soi, ruminait inlassablement les deux, trois mêmes pensées personnelles. Mais l’aubergiste ne s’était pas aperçue qu’on ne l’écoutait pas, car aussi bien elle ne s’adressait à personne – elle ne dialoguait qu’avec elle-même. Le garçon disparut alors derrière le mur et reparut un instant plus tard dans l’encadrement de l’autre fenêtre : une tache fugitive et sombre. Il approcha, passa en trombe devant les lilas d’un violet virulent qui bordaient sur un côté le chemin conduisant à l’auberge. Ils n’étaient en fleurs que depuis quelques jours. L’air lui-même en paraissait coloré, de même que le visage du gamin – ainsi l’aubergiste l’ap-pelait-elle encore, bien qu’il eût atteint la vingtaine –, ses mains blanches, ses vêtements sombres et désormais bien trop courts.
::: Reinhard Kaiser-Mülecker ; Lilas rouge

Je relis le premier chapitre du roman de 696 pages. J’attendais le moment propice pour l’entamer réellement avoir en avoir goûté quelques pages, dès l’achat. Voilà le moment propice : je suis dans le train, je vais chez mes parents, je vais sur ma terre, j’imagine qu’il y aura le souffle du vent et que celui me laissera me promener ici ou là en poussant suffisamment les nuages. J’emporte quelques carnets qui resteront vains, je ne le sais pas encore.

Les pages sont denses, longues, il faut les apprivoiser, parfois les relire. C’est le troisième livre conséquent que je lis cette année. Ce n’est pas anodin. C’est un autre temps, tout ça, que ça vous met entre les doigts et dans la tête. C’est un autre rythme, imposé par la mort des gens ou le risque qu’ils meurent. Quand on y pense… Alors on ne sort plus, on lit, par exemple, et l’on n’a pas peur de cela, on y trouve même son compte. Le prochain, ce sera Don Quichotte, peut-être ; il était là, l’été 2019, sur une des étagères qui bordaient le lit, au Liégat. Ç’avait été furtif, entre lui et moi.

Avant le train, ce matin, j’ai retrouvé le CAPC et Arc-en-rêve, c’était un bonheur sans nom, de respirer tout ça, penser, regarder, être inspiré. C’est donc un 21 mai synonyme d’envol, tout reprend, et par les fenêtres là-bas il y aura les écureuils et une mésange audacieuse tapotant au carreau.