Mardi 3 août 2021

Photographier sans projet ni intention : l’un des formes les plus radicales du lâcher-prise.
::: Arnaud Claass : L’Intuition photographique

Jeu de Paume. Nous sommes si peu nombreux. On dit toujours cela de Paris, qu’elle se vide en août. On n’a même plus besoin de fuir la foule, c’est elle-même qui n’est pas venue ou bien qui est partie : devant les photographies de Michael Schmidt, on ne sait pas très bien qui est là, quelques Parisiens rescapés – et pass-sanitarisés – ou quelques touristes ?
Devant les photographies de Michael Schmidt, il se trame, comme parfois, autre chose qu’un regard : il y a mes propres interrogations sur ce que je fais de mes images, jusqu’où je ne vais pas avec elles. Car mon travail est disons dans la même famille, fait de moments happés, allant par ci, par là.

Allant par ci, par là, me voici ensuite attablé, salon de thé Tomo, besoin du goût du Japon, il fait gris, je suis dehors. L’homme sort de la laverie automatique, je l’y avais vu entrer avec un petit sac. Il fume. Il s’assied à la table d’à-côté, me parle, me demande ce que je lis, et puis me dit que ça coûte 4-5 euros, je n’entends pas très bien, il y a le bruit de la rue, des travaux un peu plus loin. Je lui en tends 1, il le prend et s’éloigne. Quelques minutes après il revient, pose l’euro sur la table. Je n’ai pas l’habitude, dit-il, ne te vexe pas. Je ris, je dis que non, je ne me vexe pas. Je ne sais pas quoi dire d’autre.

Avec l’homme qui m’interpelle plus tard, alors que je suis assis au Palais Royal, lisant encore malgré le petit vent frais – j’ai entre temps sorti l’écharpe de mon sac – je suis plus bavard, et il l’est aussi. Il a 58 ans, il récupère l’euro, et 30 centimes de plus. Il ne sait pas où il dormira ce soir, nous parlons un peu, il dit que pour manger ça va, les gens lui achète de quoi. Mais dormir : où ? Le gardien du parking où il a ses habitudes est en congés, il doit dormir ailleurs. La nuit dernière fut hachée, il est épuisé.

Au dîner, A l’est aussi sans doute, mais il ne le dit pas. Peut-être un peu épuisant aussi, B le confirmera. Il se souvient de tout, de moi, de L, c’est léger mais il bouffe l’espace, c’est un peu à qui de nous deux gagnera la bataille du plus extraverti. Alors quand il se dévoile, là, fragile dans ce couloir et cette rupture, que puis-je dire ? Rien de réconfortant : il est trop tard, il n’en a pas laissé la place. Et je ne sais pas faire.