Vendredi 19 novembre 2021

J’écrivais hier qu’après Le Désert rouge, il n’y avait plus besoin de faire de films, formule jusqu’au-boutiste et un peu idiote qui ne demande qu’à être contredite et qui le sera tant que le cinéma existera.
Pays du silence et de l’obscurité, de Werner Herzog, est aussi de ces films puissants qui nous feraient nous demander à quoi bon raconter d’autres histoire. Mais. En écrivant cela, tombé dans le piège – ou voulant jouer avec le piège – des jours qui se succèdent, je sais que c’est peut être le pire qu’on puisse dire de ce type de cinéma, loin, si loin d’une fiction en technicolor faisait inlassablement marcher une femme triste et son enfant dans des paysages d’usine, puisque le Herzog en est l’opposé, en tant qu’il fait partie d’un cinéma qui témoigne de ce que nous ne sommes pas. Il suit Fini Straubinger, femme alors d’une soixantaine d’années, devenue petit à petit aveugle et sourde à l’adolescence suite à une chute dans un escalier. Il la suit aller à la rencontre de celles et ceux qu’elle nomme ses petites sœurs et petits frères d’infortune, aveugles et sourds comme elles. Cinéma documentaire d’une telle simplicité, c’est-à-dire où le moindre artifice cinématographique est tellement, tellement absent !
Je pourrais parler très longuement du film, tellement il m’a d’abord fait m’interroger sur comment ces personnes parvenaient à tenir, à autant déborder d’humanité, là, dans toute leur fragilité, dans leur présence tellement dépendante des autres, dans toute l’incertitude qui nait de leur regard perdu.
Et puis il y a eu les trois dernières rencontres. Il y a eu un adolescent dans une piscine et un jeune homme sans âge serrant un poste de radio qu’elle lui avait apporté ; tous les deux étaient nés ainsi, aveugles et sourds, tous les deux étaient dans un monde intérieur dont on ne sait rien. Et il y a eu cet homme caressant un arbre. C’était bouleversant, tout comme l’était ce moment où le jeune homme serre la radio contre lui.

On n’imagine pas tout à fait, avant cela, qu’on sera un jour bouleversé par un homme caressant un arbre.