Dimanche 5 décembre 2021

Je marche. Un peu plus tôt j’ai déjeuné chez I, avec P, j’avais apporté des cèpes, je suis repassé chez moi, et puis je suis ressorti, me disant qu’il y aurait probablement quelques skateurs à regarder pour remplacer l’ennui par l’admiration. Je me sens seul. On pourrait même considérer que je me fais passablement chier, quand bien même je dis toujours que je ne me m’ennuie jamais. Penser à sa propre solitude, et se demander ce qu’on pourrait en faire, c’est déjà avoir une occupation. F devrait être là, sans doute nous ririons puisque je n’ai pas arrêté de rire. Je porte mon gros blouson en motifs camouflage pixellisés, ça crée quelques liens : un type est venu me parler tandis que je regardais quelque jeunesse virevolter sur roulettes, on a échangé quelques phrases, il était amusant, il était la représentation même de l’adjectif “cool” (dreadlocks, etc.) et puis il est reparti. Puis moi aussi…

Nous en sommes là : je marche. Je me dirige vers chez moi. Quelque chose soudain me traverse, comme une prise de conscience de ce qu’il est advenu et de l’absence définitive de mon père. J’ai beau n’avoir que “ça” en tête depuis 8 jours, cette fois-ci c’est différent. Sur le moment, je ne sais pas trop décrire ce que je ressens, mais c’est que je perçois, vaguement, le définitif.

(En écrivant ces mots, je comprends que depuis 8 jours mes émotions naissent du présent et du passé, et que soudain c’est le futur qui frémit.)

Et puis je rentre. J’ai en tête les images faites la veille, lors du cours de photo. Nous avons fait des portraits. J’ai demandé à G et N d’être vides. De ne rien montrer. Je m’y colle : import sur l’ordinateur, premier regard, sélection, grimace, déception ici, peut-être un effroi lorsqu’ils ferment les yeux : la mort est là. J’essaye de me dire que ce ne sont que des images faites dans le cadre d’un cours de photographie, mais la moindre satisfaction que je pourrais potentiellement retirer de tout cela est presque étouffée par une phrase, prononcée par Annie Girardot et retranscrite dans ce journal le 11 octobre : Ça semble une trahison de ne plus souffrir : c’est presque oublier.” Ce n’est pas une souffrance que je ressens, c’est plus sournois, moins violent, mais l’idée est là.

Parmi les portraits, l’un d’eux expriment encore un petit quelque chose. J’y lis une lueur, une fragilité. On est à la lisière du rien, mais ce n’est pas le rien. Je voulais du vide, et par bonheur je perçois autre chose. Cela me plait. Cela dit quelque chose.