Quatre ans, deux mois, 8 jours. C’est le temps qui s’est écoulé depuis que j’habite cet appartement, au numéro 8 d’une rue commerçante et piétonne. De chez moi on n’entend pas le bruit de la rue. Cela surprend toujours les visiteurs. “Qu’est-ce-que c‘est calme !“, ils disent. Ils le disent parfois au matin. De temps en temps, mais c’est si rare, on imagine, derrière le bruit des tam-tam et les acclamations sourdes, les acrobaties des danseurs de capoeira.
C’est chez moi sans l’être, je n’en suis pas le propriétaire. C’est chez moi en l’étant peu, c’est un meublé.
Des deux fenêtres principales, je vois le crépis jaunâtre du mur de la cour intérieure ; au-dessus il y a un alignement de tuiles, et puis le ciel. Souvent il est bleu, souvent il pleut. Les semaines de confinement en 2020, ou mon fatalisme, ont déplacé ma façon de vivre cette vue. C’est l’expression qui me vient : vivre cette vue. Peut-être parce que cette forme d’enfermement – je ne vois nul passant, n’entends nulle voiture – c’est un regard sur soi-même. Je vis peut-être mieux en moi depuis que je vis mieux avec ce que je vois depuis chez moi. Et inversement.
Ce matin est arrivé un nouveau meuble. Une console, en métal noir et bois sombre. La voilà adossée au mur couleur framboise. Petit à petit, il en va du paysage comme de l’intérieur, il s’agit de vivre mieux avec. De meubler, aménager. Petit à petit, je me sens de plus en plus chez moi. Le lieu commence à me ressembler. Et puis le soir, revenu du théâtre où je m’étais plutôt ennuyé, l’arrivée de ce nouveau meuble ayant procuré un plaisir rare, l’envie me reprend, je cherche ; il est pourtant tard. Tapis, miroir, pendule, drap, je clique, compare, ajoute au panier, supprime du panier, regarde mon compte en banque, hésite, pense au coût des billets de train vers Paris, pense au plaisir, à l’espace gagné, à la lumière acquise, au sol froid en hiver. La nuit avance. Il est si tard, stop, elle portera conseil.