Un soir, j’ai rêvé que le fantôme de mon père me rendait visite pour me prévenir : Attention, ta mère va marcher sur un clou !
::: Lisa Gervassi ; Mommy
Elle est écrivaine, parle vite ; j’ai l’impression de l’avoir déjà vue. Elle est belle, métisse, ses yeux en amandes nous emmènent là où le soleil se lève. Elle évoquera plus tard le racisme subi moins à Bordeaux qu’à Lyon ou Paris.
Dans sa logorrhée de noir vêtu, elle lâche soudain le mot bobo. Je me fige, me crispe peut-être. Elle me demande si elle a dit quelque chose de blessant. Non, je lui réponds, j’essaie de comprendre ce qui fait la différence entre son attitude et ce mot. Nous n’avons pas la même définition, c’est tout le drame de ces mots-valises, et dans sa critique des spectacles montreuillois loin des bases culturelles d’un public soi-disant visé mais oublié, elle m’intéresse, mais elle s’enfonce dans ce qui pourrait être bien vite une forme de condescendance maladroite, inconsciente malgré toute la pensée et toute la construction assez solide qui semble être derrière elle – dans ses expériences -, en elle.
En écrivant ces lignes, je me dis qu’elle a quelque chose d’un personnage de film à la fois beau et agaçant. Elle est probablement plus brillante avec un peu moins d’alcool, moins de public – nous sommes trois à l’écouter -, moins d’excitation que ce soir.
Qu’importe, les jeux des mouvements fait que l’on s’éloigne – elle sort téléphoner, je sors piquer une clope, une rue nous sépare – et me sauve d’une question à laquelle je n’ai jamais eu besoin de répondre : c’est quoi être de gauche ? Une orthophoniste humble, curieuse, viendra s’installer à ma place et l’on aura envie de l’aimer, elle, au premier abord.