Tu es assis, torse nu, vêtu seulement d’un pantalon de pyjama, dans ta chambre de bonne, sur l’étroite banquette qui te sert de lit, un livre, les Leçons sur la société industrielle de Raymond Aron, posé sur tes genoux, ouvert à la page cent douze.
C’est d’abord seulement une espèce de lassitude, de fatigue, comme si tu t’apercevais soudain que depuis très longtemps, depuis plusieurs heures, tu es la proie d’un malaise insidieux, engourdissant, à peine douloureux et pourtant insupportable, l’impression d’être sans muscles et sans os, d’être un sac de plâtre au milieu de sacs de plâtre.
Le soleil tape sur les feuilles de zinc de la toiture. En face de toi, à la hauteur de tes yeux, sur une étagère de bois blanc, il y a un bol de Nescafé à moitié vide, un peu sale, un paquet de sucre tirant sur la fin, une cigarette qui se consume dans un cendrier publicitaire en fausse opaline blanchâtre.
::: Georges Perec, Un homme qui dort