
Mercredi 19 novembre 2025


8h04. Mes yeux se posent sur l’heure, mon corps s’expulse du lit, mais il est trop tard. Le train de 7h46 est parti.
Il n’y a rien à faire, il n’y a qu’à choisir : partir tout de même ou rester. Tu es dans ce train. Tu as laissé quelques mots, depuis l’heure de ton réveil. Tu disais en souriant « Don’t sleep over ! » I did.
Je regarde mon appartement. Je n’ai pas envie d’être là. Si je reste, je ne vais pas être ailleurs, c’est-à-dire que ma tête ne va pas être ailleurs, qu’elle va rester figée dans tout ce qui l’encombre : le travail et le reste. Les listes. Le foutoir de mon bureau. Ce n’est pas à toi que je pense, c’est à moi. Je te le dirai plus tard, puisque plus tard nous serons ensemble, puisque finalement je partirai. Je prends mon temps et puis je pars. C’est le train de 10h46. Je ne suis pas en retard, je suis au temps qu’il faut.
::: Elise Parré, La Base // Exposition « La Condition extraterrestre »
Comment rendre hommage à l’amitié ? Quels mots fonctionnent dans l’été, quand on se dit « A bientôt » ?
Comment, ensuite, dire celui qu’on ne connait pas et dont on ne sait pas exactement si on aime entièrement sa présence ? Lui-même, n’est-ce pas qu’il m’a, quelque part, attendu ? Il pourrait être des pages, une description plus ou moins appuyée de ses chaussures, de son bracelet, du lieu qu’il a choisi, ou de l’audace qu’il a de demander si l’on peut s’installer ici malgré tout. Et puis il y a son regard – ses yeux et comment il a vu ce que je montre, ce que je dis de moi. Il a le goût d’un peut-être un peu lointain, le sourire qu’il faut, et sans doute un discours trop immense pour moi, comme une vague, comme une vague parce qu’après tout c’est l’été.
Enfin, Tillmans, enfin ! Des heures. Je m’imprègne. J’aurais voulu m’arrêter avant, au paragraphe précédent, au mot « été ». Mais c’est impossible. Que faire de ça, immense ? Qu’en dire et… oui, qu’en faire ?

Nous sommes une histoire. Nous sommes le souvenir indélébile du premier lieu, de tes silences à une terrasse du port de La Rochelle. Nous sommes une histoire secrète, des week-ends qui se taisent. C’était il y a 25 ans, c’était l’hiver qui ouvrait l’an 2000 sans doute.
Nous ne nous sommes pas vus depuis octobre 2018. L’autre jour tu m’as écrit, tu avais très envie de me voir. Te voilà, il est midi passé, tu as respecté l’horaire précis que j’avais proposé comme j’aime le faire, rieur.
Nous redevenons des heures, cinq heures légères. Parmi elles, un déjeuner péruvien, une exposition. Et l’écriture. Car tu me surprends alors : tu écris, toi aussi. Perec débarque sans crier gare. Et Ornella Vanoni.
Et tu parles de Présence, bouleversé. C’est l’adjectif que tu utilises. Sans doute j’écarquille les yeux. Tu dis aussi que parfois je n’en dis pas assez. J’explique. Je crois que parler du processus d’écriture est une des choses que j’aime le plus. Je réfléchis. Moi-même parfois, je n’y ai pas vraiment pensé.
Arles. « Tu es beaucoup trop absent » sont les mots qui me viennent à l’esprit tandis que j’attends la salade du jour, légère mais comme son prix. C’est un Tu qui est peut-être un Vous, multiple. C’est peut-être un début de phrase — « Tu es beaucoup trop absent pour…« , « Tu es beaucoup trop absent mais… » C’est un absent masculin qui peut être la marque du neutre, ce pourrait être un féminin, peut-être, oui aussi. Cela cache ou dit éventuellement des émotions diverses : peut-être le manque, léger ou profond, peut-être l’indifférence, peut-être un fatalisme, épaules haussées, moue légère. Tu pourrais/pourrait être une ville, un objet. Ce pourrait être un titre d’exposition, un titre de livre.
Et puis elles s’approchent, ma salade est presque finie, l’une d’elles hésitent, je lui dis que je vais partir, qu’elle peut s’asseoir le temps que je finisse mon Perrier. Je lui demande si elles sont là pour le festival. Oui. On parle. Comme ce matin tandis que je prenais avec un café, deux anglais à qui j’avais proposé de partager ma table, à l’ombre. Comme dans une expo, plus tôt encore, en montrant à un autre couple la photo volée que j’avais faite d’eux : elle avait mis son bras sur son épaule. Elle s’appelle Odile, j’ai son email, je lui enverrai. J’ai envie de parler aux inconnus — les connus ont été parfois source de déconvenues.
Je suis dans la saturation d’Arles, je ne suis pas allé voir Armstrong à Luma, j’ai à peine survolé l’expo sur la photographie moderniste brésilienne qui, en d’autres temps, d’autres lieux, m’aurait attrapé.
C’est le moment du bilan, les gens disent « Tu as vu quoi ? » Tu as aimé quoi ? », et je réponds : l’installation d’Agnès Geoffrey, Todd Hino, Camille Lévêque, Claudia Andujar, Diana Markosian, Jia Yu, Raphaël Peria, les films de Brandon Gercara, l’énergie zinzin d’Augustin Rebetez, oh la la j’en oublie, les photos anonymes bien sûr. Moi aussi je demande ça.
Les inconnus sont aussi là le soir, moment festif, after-party privée, délices japonais, j’ose deux fonds de saké, on fait connaissance, on donne nos cartes de visite, on regarde les comptes Instagram, ils ne sont plus inconnus, le lendemain Isabelle m’écrit : « Très beau travail ».