Dimanche 31 décembre 2023

Regarder derrière, comme chaque année, par habitude et par envie. Envie de dire merci à toustes celleux qui ont été là, qui m’ont accueilli, aidé, soutenu, regardé, attendu, aimé, accompagné, fait confiance. Et ceux qui se sont laissé regarder.

Envie de citer trois prénoms : Alex, Antonios et Vincent. Un printemps, deux étés, l’un au plus chaud de la saison, l’autre c’était presque l’automne.

Voici l’hiver et vous êtes toujours là, plus ou moins loin des yeux et près du cœur, géométrie variable du temps qui passe, géographie malléable selon les continents qui vous embarquent et les océans qui nous séparent.

Voici l’année finie et tu es avec moi. Nous partageons Marseille, le musée Contini, le déjeuner chez Yassine une deuxième fois — les enfants crient d’abord, on grimace —, le bateau vers l’île du Frioul, ce plaisir d’être ailleurs. C’est un peu toi qui m’y emmène, j’aime.

Château d'If, Marseille

Mercredi 27 décembre 2023

Flâner le long des haies, cherchant l’entrée des étourneaux, aura longtemps été son lot. Il s’abîmait en d’abruptes contemplations le long des chemins : voler, se nicher, bruire de l’aile comme les feuilles bruissent du vent, s’immobiliser au cœur d’un mouvement vital, comme ces oiseaux dont il observait à l’infini le vol affairé dans les haies, sport méconnu et délicat. Vider sa tête, s’affranchir un instant de l’attraction terrestre, dont il ignorait même qu’on lui eut parlé, un jour de communale, parce qu’aucune de ces leçons n’avait jamais franchi les herses de son entendement.
::: Mathieu Riboulet ; Le Corps des anges

Samedi 23 décembre 2023

L’Usage du monde était devenu ma Bible. L’Évangile de la route selon saint Nicolas. Un après-midi de printemps, à Cologny, en banlieue de Genève, dans une maison blanche aux volets verts, je rencontrai Manuel, son fils cadet. Il me dit comment Nicolas écrivait de la main gauche au feutre noir en écoutant Debussy ; il me montra ses globes, sa bibliothèque, l’exemplaire de L’Usage du monde, « cette vieille histoire triste et gaie », dédicacé par la main de son père. Puis nous étions allés sur sa tombe, la tombe de saint Nicolas : pas de dalle, une plaque minuscule (Nicolas Bouvier, 1929-1998), quatre lattes en bois qui formaient un rectangle recouvert de graviers, une Fiat Topolino miniature en fer-blanc laissée par une main anonyme, en même temps qu’un galet sur lequel on pouvait lire : « Et maintenant, Nicolas, enseigne-nous l’usage du ciel. » C’était le 16 mai 2019, et je m’étais juré qu’un an plus tard je partirais sur ses traces. J’irais en Iran.”
::: François-Henri Désérable ; L’Usure d’un monde

Jeudi 21 décembre 2023

Le poète s’en va dans les champs ; il admire,
Il adore ; il écoute en lui-même une lyre ;
Et le voyant venir, les fleurs, toutes les fleurs,
Celles qui des rubis font pâlir les couleurs,
Celles qui des paons même éclipseraient les queues,
Les petites fleurs d’or, les petites fleurs bleues,
Prennent, pour l’accueillir agitant leurs bouquets,
De petits airs penchés ou de grands airs coquets,
Et, familièrement, car cela sied aux belles :
— Tiens ! c’est notre amoureux qui passe ! disent-elles.
Et, pleins de jour et d’ombre et de confuses voix,
Les grands arbres profonds qui vivent dans les bois,
Tous ces vieillards, les ifs, les tilleuls, les érables,
Les saules tout ridés, les chênes vénérables,
L’orme au branchage noir, de mousse appesanti,
Comme les ulémas quand paraît le muphti,
Lui font de grands saluts et courbent jusqu’à terre
Leurs têtes de feuillée et leurs barbes de lierre,
Contemplent de son front la sereine lueur,
Et murmurent tout bas : C’est lui ! c’est le rêveur !
::: Victor Hugo ; Les Contemplations

Mercredi 20 décembre 2023

Il est tard. Pourtant épuisé des heures passées, je ne dors pas. Toi non plus. Tu m’envoies une photo de l’oiseau que j’ai appelé Paul. “Comment on va l’appeler ?” tu m’avais demandé après que je te l’avais offert. Paul, j’avais dit, en faisant un geste de la main. Parce que c’est rond, comme lui, j’avais précisé et refaisant le mouvement comme caressant un galbe. On lui avait alors ajouté ses trois piles LR44 pour qu’il s’illumine. “J’aimerais lui dessiner des yeux. Sans cela, je ne pourrai pas lui parler.“, tu avais dit, aussi.

Lundi 11 décembre 2023

Je n’ai probablement jamais eu autant le trac. Je t’attends. J’attends de savoir comment je saurai rendre hommage à ton art puisque tu viens pour cela. J’attends de savoir si je saurai gérer la lumière puisqu’il fait gris, terne ; il faudra compenser. J’attends de savoir comment je te regarderai, comment nous parviendrons à être deux, ici, chez moi, dans ce déploiement inédit.

Te voilà. Nous parlons un peu. Et puis vient le moment. Il faut y aller.

Tu disposes ce que je n’appellerai pas des objets. Disons des plumes, puisque c’en sont.

Et puis cela commence vraiment. Le superflu te quitte, un filet t’habille. Lentement, tu respires, attends, prends, colles, te déplaces, développes ; tes yeux deviennent un mystère muet. C’est moi qui romps le silence par mes déclenchements : jamais il ne m’est venu à l’idée de les faire taire.

Tu te fais animal, créature hybride, je t’y aide, maladroitement.

Et puis, soudain, tu es un oiseau.

Samedi 9 décembre 2022

Être là, tous les deux. Dehors il pleut, ce n’est pas grave, je m’en fiche. Non je ne m’ennuie pas : je suis là. Je lis, un peu, à peine. Je laisse le temps avancer, dans cette maison, près de la fenêtre, devant la cheminée, où j’aime être, pour regarder les mots et voir dehors, rien, du coin de l’œil, la glycine et la pluie qui tombe. Il y a parfois la télé en bruit de fond, parfois elle m’attrape vraiment, elle m’emmène vers d’autres continents, par exemple les fins fonds de la Papouasie, d’autres habitudes que les miennes, j’aime ça, je suis là pour autre chose, pour ne pas être dans mon unique silence. Pour être avec maman. Être là, tous les deux, ensemble, côte à côte, parfois je dis peu, trop peu sûrement, coincé dans ce que je suis, un peu comme pouvait l’être mon père. Mais je n’ai pas vraiment peur de parler de toi. Parfois nous rions.

Je crois que c’est la première fois qu’il y a un jour chez elle/chez eux sans image. L’automne, c’est-à-dire la pluie derrière la fenêtre, a eu le dernier mot. Ou peut-être que ça vient de moi, de ce qui se déplace. Les images vont ailleurs. Elles se raréfient en même temps qu’elles intensifient, du moins je le crois – du moins je l’espère. Elles ne sont plus que rarement la part manquante qu’avait si bien exprimée Christian. Elles sont ailleurs. Et toi non plus tu n’es pas là.

Jeudi 7 décembre 2023

Matin. Boulot, photographie de Muriel K, chercheuse en neurosciences. Elle s’accoude à la rambarde de l’escalier, la lumière est bonne, elle me convient parce qu’elle vient d’un peu partout, cette lumière, j’aime ce coin pour cela. Je ne réalise pas que Murielle avance trop la tête, je fais encore des erreurs de débutants dans les portraits, je ne regarde pas tout, je ne vois pas tout, je veux aller vite même si je sais aller vite ; il faut qu’ensuite la personne prise en photo consente à être telle qu’elle est. Ensuite, on regarde les quelques images, on commente, il s’agit donc d’accepter le visage, à nos âges, les marques du temps sur les photographies que l’on accepte de donner de nous, de montrer de nous.

Midi. Ton message joyeux, ton oral s’est bien déroulé : tu pourras être président de la République, tu ris, euphorique, libéré. J’aime. J’aime comment tu sais t’aimer – et comment on sait à peu près tous s’aimer -, j’aime ce que tu sais faire de toi, et rire de tout cela. Je te l’avais dit, j’avais confiance en toi, tu es brillant, tu saurais dit ce qu’il faut. Je te rappelle. Je ne te dis pas qu’il faudra que tu écoutes la radio, lire ne suffit pas. Ainsi tu saurais qu’on  dit “49 3”, pas “49 point 3”. J’ai aimé que tu fasses cette faute, que tu aies su faire le malin avec ce que tu sais, avec ce que tu as ingurgité par toi-même. Quelque part, je me suis toujours senti flatté ou rassuré d’être aimé – parce que ce n’est pas le moment de s’apesentir sur le sens du verbe aimer – par des hommes comme toi.

Soir. Il y a cette idée que Benjamin va venir, tôt tout tard, il viendra. Je ne veux pas qu’il voit cela, l’appartement ainsi, dans un tel état qu’il ne me ressemble même plus, quand même bien le bordel, à petite dose, c’est moi. Alors la nuit venue je range. Je transforme. Je déplace. Il reste la question du bureau, et de l’espace à gauche du bureau. Qu’en faire ?

Mercredi 6 décembre 2023

Je crois que c’est là, encore, que tu parles du manque des 25 et 26 novembre, un manque qui, dis-tu, n’est pas une forme d’amour, mais le simple signe d’une habitude.

J’ai beau attendre une forme de certitude, de celles qui font avancer, de celles qui font regarder demain comme si demain était déjà là, j’ai beau attendre ça, je me satisfais de nous, puisque nous sommes là, bien là. Là et donc dans une autre forme de certitude : je n’attends rien du peu – du pas assez – que tu me donnes.

Je ne sais pas en quoi ce que nous sommes va se transformer, on peut simplement deviner quand, sans savoir exactement quand : ton départ, puisqu’il adviendra, un jour, pour un autre peut-être ou pour un ailleurs sûrement. Je me résous donc à ce que tu sois là sans y être vraiment, cela donne une chance à d’autres possibles pour moi, pas forcément plus réalistes, pas forcément mieux que nous. Nullement je les cherche ; je les laisse advenir. Et toi, les cherches-tu encore ?

Lundi 4 décembre 2023

Comme tous les jours de la semaine, sauf le dimanche, je me suis levée, ce matin, à six heures. C’est le réveil, encore une fois, qui m’a tirée du lit. Dans le milieu de la nuit je cauchemarde. Et puis, quand vient le jour, forcément, abrutie et lasse, je m’endors comme une souche. S’il n’y avait pas le drelin
de la sonnerie, je crois bien que je resterais là jusqu’à midi.
::: Raymond Guérin : La Peau dure

Soir. Je cherche des corps, c’est-à-dire des textes où un corps, ou plusieurs, seraient là, présents, dans une écriture fluide et belle. Plus précisément, je cherche L’Occupation des choses, de Jean Echenoz. Je veux retrouver le visage de la mère du narrateur pour en lire un extrait, le 20 janvier, pour la Nuit de la lecture.

Je jette un œil dans la pile – ou le tas, si on considère que deux piles forment un tas – de livres qui grimpe devant la bibliothèque du salon , par terre. Dans un des bouquins – ce n’est pas le Echenoz, je ne sais pas où il est passé – glissé entre la couverture et la page 3 , il y a 4 photomatons, probablement faits l’été 2022 : je porte cette chemisette légère jeune aux motifs fleuris que j’aime assez peu – pas mon style – et je ne porte pas encore de boucle d’oreille à l’oreille droite. Je ne me souviens pas des circonstances, sans doute avais-je besoin d’une photo pour un autre usage que ceux où l’on vous demande de retirer vos lunettes, vos bijoux, votre sourire – passeport, etc. J’y porte une moustache assez proéminente, sur trois d’entre elles je souris.

Dimanche 3 décembre 2023

Le propriétaire de la ferme du Manoir, Mr. Jones, avait poussé le verrou des poulaillers pour la nuit, mais il était bien trop saoul pour s’être rappelé de rabattre les trappes. S’éclairant de gauche et de droite avec le faisceau de sa lanterne c’est en titubant qu’il traversa la cour. il entreprit de se déchausser, donnant du pied contre la porte de la cuisine, tira au tonneau de l’office un dernier verre de bière  et grimpa jusqu’à son lit où Mrs. Jones ronflait déjà.
::: Georges Orwell ; La Ferme des animaux

Serge a apporté un Lalande de Pomerol, j’ai fait un risotto, dans lequel je suis toujours tenté de mettre un z, et un clafoutis. Nous parlons de livres, de films, de toi. Tu n’es pas là. Tu aurais pu, dû être là. C’était prévu. Je n’attendais pas tout à fait ton absence, née de l’ennui dans l’après-midi. Je t’avais laissé, seul, chez moi, le temps d’un brunch qui n’en était pas vraiment un. T’avais-je proposé de venir ? Je ne sais plus. Je ne crois pas.

Samedi 2 décembre 2023

Le 14 décembre 1999, en milieu d’après-midi, j’ai pris conscience que mon réveillon serait probablement raté – comme d’habitude. J’ai tourné à droite dans l’avenue Félix-Faure et je suis rentré dans la première agence de voyages. La fille était occupée avec un client. C’était une brune avec une blouse ethnique, un piercing à la narine gauche ; ses cheveux étaient teints au henné. Feignant la décontraction, j’ai commencé à ramasser des prospectus sur les présentoirs.
::: Michel Houellebecq ; Lanzarote

Vendredi 1er décembre 2023

Tu arrives au moment fatidique, la confiture est presque cuite, les pots sont lavés, ils attendent, je touille vaguement, j’inspecte, j’hésite, j’espère, mais les petits grains blancs qui restent de la pulpe me font craindre un raté. Devant toi je la goutte : “Ah, elle est amère, fait chier!”. Tu adores. Non pas ma déception, mais cette expression et ma manière de la dire. C’est tellement français, t’enchantes-tu.

Jeudi 30 novembre 2023

Ta voix, outre-atlantique. Tu penses que j’ai évidemment lu ce livre mais tu l’aimes, tu aimes ce qu’il dit, il parle un peu de nous, indirectement, de ce qui nous lie, nous habite. Alors tu me lis un passage.

Mercredi 29 novembre 2023

“Je me suis retrouvé, au bout de toutes ces années, encombré de pleins de silences”.
::: Dimitri Rouchon-Borie

Mardi 28 novembre 2023

Tu me fais entrer dans un monde cinématographique que j’évite et qu’ici je ne montre pas : ni vignette, ni allusion. Tu regardes peut-être ces films, tous français, comme j’écoute de la pop italienne, dans une espèce de plaisir malin né d’une langue étrangère dont on aime les sonorités. Mais toi, tu n’as pas besoin de t’enrichir de ma langue, tu la maîtrises. Est-ce par manque d’assurance que tu mets les sous-titres ? Souvent tu les trouves trop lents, ces films, tu t’ennuies, mais moi je reste, sage spectateur. Jamais on ne voit la fin, je crois. Ce soir, embarquement pour Voleuses. Trop lent ? Non, trop tout.

Vendredi 24 novembre 2023

Tu es passé à la boutique, en face. Tu sors du sac en papier deux objets. Ce sont deux oiseaux colorés, en bois. Tu n’as pas le droit d’avoir des animaux chez toi – à supposer qu’on puisse appeler ça chez toi – alors les voici : Stefan et Egon. Comme Zweig et Schiele. Et te voici en joie.