Mercredi 8 novembre 2023
Il y a quelque chose d’inattendu qui nous réunit, là, dans ce bar. Nous avions envie d’un verre, peut-être grignoter un petit rien, nous cherchions aussi à nous abriter, être au chaud. Nous entrerons bientôt dans la halle des Chartrons, pour voir le spectacle de Nicolas Meusnier. Je ne sais pas ce que l’on verra, je ne sais pas ce qui nous attend, la joie ou le déchirement. Je ne sais pas encore la force qui se dégage de cette heure. Ce qui nous réunit, en attendant, c’est le plaisir de manger des frites. Ta joie s’exprime peut-être un peu plus que la mienne. Mais c’est moi qui finirai la mayo.

Mardi 7 novembre 2023
Je m’assieds en face d’elle, direction Carle Vernet. Je regarde discrètement son visage grave ; la fatigue de la journée semble d’ampleur, on la sent dans son geste pour déplacer son sac. Peut-être est-ce au-delà : les soucis de la veille, la mère malade, le mari parti, le rendez-vous du lendemain, les enfants qui ne donnent pas de nouvelles, la santé c’est pas ça. Ce sont alors ses mains qui s’imposent, appuyées sur le pommeau de son long parapluie de plastique transparent, ses mains qu’on dira bicolores : vitiligo. Appuyer le regard est impossible, elle sait qu’on la regarde, là. Sur son visage, nulle trace.
Cela me rappelle Dave, année 2008. Cela me rappelle qu’iels ne sont plus souvent dans ce journal, les passant·e·s, les assis·e·s, les debout, les inconnu·e·s de tout ordre. En la voyant je me dis qu’il faut que j’y revienne, qu’iels reviennent. Iels ont été remplacé·e·s par des silences et des tutoiements discrets parce que toi, toi, toi aussi, vous êtes quelque part où je m’accroche et où j’ai envie d’accrocher mon histoire actuelle.
Carle Vernet, elle est déjà descendue, je change, une station, je marche, m’y voilà, la Manuf, j’arrive un peu en avance comme toujours, je suis alors au premier rang, comme presque toujours, au milieu, là, pile, bam. On échange trois phrases avec les deux femmes à ma droite, toujours les mêmes phrases sur les sièges qui basculent. Et puis ça commence. Graces. Dès les premières secondes on rit. On rira beaucoup. On sera un peu gênés, peut-être, d’être ainsi impliqués, regardés, écoutés, sollicités. Mais quel bonheur, quelle folie. Grazie!*
* Chercher une autre chute.

Lundi 6 novembre 2023
La Mère saisit le sac de Gio, lui tape sur la manche quatre fois, et tire dessus pour qu’il ramène sa joue à bonne hauteur. Gio ploie. Elle l’embrasse,ça fait un bruit sec et sans salive puis elle s’en va par le chemin qui remonte. Gio regarde. C’est bien le chemin qui remonte jusqu’à la cabane. La Mère y consacre de si petits pas.
::: Dimitri Rouchon-Borie ; Le Chien des étoiles
Dimanche 5 novembre 2023
Cette langue, qui est maternelle pour moi, paternelle aussi, cette langue que tu maîtrises, est source de question. Ça commence au café, lieu triste mais un dimanche matin que veux-tu que j’y fasse ?
Je n’ai pas forcément les réponses : tu creuses dans la grammaire, dans l’usage du conditionnel et du subjonctif, dans les règles de l’école primaire. Mais tu le sais, j’aime que tu fasses des fautes, j’aime ces imperfections qui s’échappent comme elles s’échappaient d’A, N, Z. Et j’aime tant douter, découvrir et puis ne plus savoir, donc la donner au chat.
Samedi 4 novembre 2023
13h20. Je t’envoie une photo de ton livre. Il est arrivé hier à la librairie, aujourd’hui entre mes mains. J’ai envie de cela, te faire signe. Je te dis que je viendrai bientôt. Tu seras disponible. Nous nous verrons donc. J’en suis heureux je crois, ou quelque chose comme ça.
18h12. Je viens de lancer la réunion Zoom pour rejoindre Mathieu Simonet et quelques autres. J’imagine du monde : nous sommes neuf, deux hommes seulement, lui et moi. Nous sommes là pour écrire notre journal, sans rien dire, sur un carnet. Le mien, entamé le dimanche 1er octobre, est à spirales, de marque Clairefontaine, 6 euros, acheté à la petite papèterie où j’aime tant aller ; elles ont un accent russe. J’écris au feutre, ça glisse, mais ça coince, ma vie, mes idées coincent, tout ça est rouillé, moche, mais je sens qu’il faut ça. J’écris pour savoir si je peux écrire, ai-je récemment noté. J’écris dans des carnets pour faire trace et faire face. Celui qui, au feutre noir, ne sait pas quoi dire ni surtout comment le dire, c’est moi. Un autre moi qu’ici, sans doute.

Vendredi 3 novembre 2023
C’est vous, la clé, n’est-ce-pas ?
Jeudi 2 novembre 2023
Mercredi 1er novembre 2023
Mardi 31 octobre 2023
Ben !? Tu n’es pas déguisé ?
Lundi 30 octobre 2023
J’ai rencontré Benoit sur un malentendu.
C’était le soir de Noël, dans une boîte de nuit. Je suis myope. Je dansais en souriant dans le vide. Il a cru que je le matais. Benoît était timide maius ce regard insitant lui a donné confiance en lui.
::: Mathieu Simonet ; La Fin des nuages
Dimanche 29 octobre 2023
Chez Serge, dîner improvisé. Soudain Alela Diane et les souvenirs poussiéreux des travaux à Ivry. Mais avant le passé, il y a eu le futur : Toulon et puis Marseille, un peu après Noël.
Samedi 28 octobre 2023
Ma nuit s’est prolongée, sans le vouloir : il est presque 11h et tu m’attends. Chez Horace, 11h35, me voilà, double expresso. Sur ton visage se lit encore le plaisir de ta gaufre. Un livre, un café avec P, une table basse et puis un mauvais film : ce sera un samedi ressemblant à un samedi qui glisse entre les heures et ton bras sous le mien. Mais je sais que ton corps un jour s’éloignera ; nous ne vieillirons pas ensemble, j’ai pris trop d’avance sur le temps.
Vendredi 27 octobre 2023
C’était un jour d’août, chez Serge, et de mes nouvelles lunettes j’avais soudain découvert la teinte verdâtre des verres en les posant sur le blanc d’un lavabo. Depuis, trop souvent, l’air autour de moi avait donc l’air malade, voilà qui m’obsédait !
Aujourd’hui, sortant de chez l’opticien, là, presque au coin de ma rue – car c’est un coin de rue, presque la mienne – je regarde le ciel et sa teinte de fin d’après-midi nuageuse, on passe du rose au gris et je les vois ainsi vraiment rose, vraiment gris : mes verres ne sont plus verts ! Cette homophonie qui peut-être vous fait sourire n’avait rien de bien drôle. Ici je l’avais tu, comme tant je tais de ce qui fait les jours.

– Tu n’sais pas si tu m’aimes ?
– Pourquoi tu parles sans arrêt ? On est si bien.
::: Jean-Luc Godard ; Une femme mariée, 1964
Jeudi 26 octobre 2023
Un bar, presque toujours le même, une table bruyante, un verre puis une deuxième, une planche mixte, dehors il pleut. J, E et moi réunis. Les mois ont passé, ils passent, passeront encore en un autre rythme que ceux qu’on a connus autrefois, c’était il y a deux ans encore, peut-être, alors nous étions ensemble, c’est-à-dire si souvent ensemble. Que sommes-nous encore ? Nos quotidiens s’éparpillent, et moi aussi. Alors je parle de vous.

Mercredi 25 octobre 2023
On se dit « Carcassonne ? », car c’est à mi-chemin. Mais peut-être ne faut-il pas faire les choses à moitié.
Mardi 24 octobre 2023
Lundi 23 octobre 2023
Alors tu écris Okay, mais ça ne l’est pas vraiment.
Dimanche 22 octobre 2023
Samedi 21 octobre 2023
Vendredi 20 octobre 2023
Ce sont deux images que j’envoie, l’une est évidente, l’autre trop, les deux partent en pièces jointes d’un message qui dit le doute, la complexité, les croisements où ma photographie se trouve aujourd’hui. Ces deux images déplacent mon travail, elles vont plus loin que ce que je montre là, encore plus loin que par là-bas mais elles creusent ce que le prénom Z, discret, hésite encore à dévoiler. J’aime ça. C’est pourtant un visage, que je montre. Sans le montrer. Encore une histoire d’absence.
L’une des deux photos bientôt sera montrée ici ; j’ai la joie d’y être invité.
Jeudi 19 octobre 2023
Il s’agit de retrouver un rythme, parce que le corps s’affaisse, s’affaiblit, et ça fait pffff. Le rythme du travail, de 9h25 à 18h passées, chaque jour, n’a pas réellement faibli, lui, mais c’est différent depuis peu, sans doute l’esprit est plus libre, moins contraint, alors il a de la place pour ça.
Ainsi sans réfléchir ou si peu, j’y vais, 5 minutes à pieds peut-être, direction rue du Parlement Sainte Catherine, toujours je passe devant la librairie, je jette un œil à la vitrine. Je n’y reste pas trop longtemps, quelques machines, un peu de course, le temps de lutter contre mon corps, lutter en attendant ce moment où la lassitude et une fatigue satisfaisante apparaissent, oxymore sportif. Occis mort ?
Mercredi 18 octobre 2023
Mardi 17 octobre 2023
Il me reste une photo, en noir et blanc, de notre dernier anniversaire ensemble. Elle est datée d’octobre 1961. Nous avons cinq ans. Il y a plein de cadeaux, de gâteaux, de bonbons, de pochettes-surprises, sur une table ronde et blanche, dans le jardin de Bray-sur-Seine gouverné par un très vieil acacia au tronc si gros qu’on ne peut l’enlacer et aux racines si protubérantes qu’elles paraissent former une manière de tumulus enherbé. La lumière de l’automne est encore claire.
::: Jérôme Garcin ; Olivier
Évidemment tu n’es pas d’ici, évidemment tu repars bientôt, évidemment tu as une autre vie, évidemment j’aurais pu t’aimer.
Lundi 16 octobre 2023
Dimanche 15 octobre 2023
Nous nous retrouvons au musée pour partager ce regard sur les corps, je t’attends dehors avec un café, toi tu n’en bois pas. Avant je suis monté à la Croix Rousse, j’ai vu Allan, nous nous sommes donnés rendez-vous le soir, j’ai vaguement erré dans ce quartier coloré aux inévitables airs de dimanche, je suis redescendu vers la Tête d’or. J’ai tant aimé grimpé, m’essouffler un peu, dominer l’horizon, glisser vers le fleuve. Nous voilà.
L’exposition me plait, étonnamment : je ne suis pas un grand fan des rendez-vous thématiques dans lesquels on saute d’un·e artiste à un·e autre. Ici l’approche est simple, il n’y a pas pléthore de pièces, peut-être que les cartels savent me parler. Peut-être que j’aime être là, tout simplement. Sans doute j’aime les couleurs des murs. Peut-être que je me sens un spectateur à égalité avec toi. Peut-être que la question des corps nous convient.
Samedi 14 octobre 2023
Vendredi 13 octobre 2023
J’ai vécu jusqu’à mes dix-huit ans dans un petit village d’Ardenne où mon imagination se trouve encore. Que je le veuille ou non, tout ce que j’écris vient de là : des quelques mètres carrés du hangar à poules de Papou, de l’odeur des fraises qu’il cultivait derrière l’église, face aux collines de Hoyemont, au-dessus de l’Ourthe et de l’Amblève, des silos à foin de la ferme de Jacques Martin, des bêtes sachant d’instinct trouver le bonheur, des machines agricoles défoncées par l’usage, dans le purin.
::: Antoine Wauters ; Le plus court chemin
Vers Lyon. Dans mon carnet, j’écris que je vais vers demain.
Le trajet s’étire, j’ai le temps de lire et d’être surpris par la beauté de certains passages, qui vont bien au-delà de quelques souvenirs. Ils vont là où j’aimerais aussi aller, il suffirait d’en prendre la route, celle vers l’enfance. « L’écriture est un fil posé sur l’oubli« , écrit l’auteur. C’est cela. Puis plus loin page 57 : « C’est un pays, un lieu qui me devance et vers lequel je tends. Le seul endroit où l’on peut me trouver – et le seul où je me trouve. Partout ailleurs je n’y suis pas. Je n’ai lieu que là« . En cela nous sommes différents : je suis en d’autres endroits. Mais j’aime tant qu’il reprenne ces mots de pays, de lieu et qu’il les déplace comme j’ai tant le faire. Et puis j’admire : Je n’ai lieu que là. Je crois que cette phrase va me poursuivre comme certaines de Duras ou Perec. Page suivante il poursuit et dans mon carnet je note « Page 58 : !!! »
Et puis, une fois encore, à travers la vitre, je regrette de ne pas cartographier les paysages aperçus.
Jeudi 12 octobre 2023
Place Saint-Projet, terrasse calme, serveur amusant, anisette, cacahuètes. Il y a en face de moi ton esprit de douleur, depuis hier tu revis l’accident et le pire qui aurait pu arriver. Il me faut savoir quoi dire, donc il nous faut aussi ne pas en parler, aller sur d’autres chemins, légers, mais où en est l’entrée ? Soudain le téléphone, ma sœur. Il y a au bout du fil sa voix fatiguée, exténuée. De mon côté la mienne qui ne sait pas les mots.
Mercredi 11 octobre 2023
Dimanche 8 octobre 2023
Nous nous retrouvons dans ton libanais préféré, il fait beau, c’est le début de l’après-midi, c’est le début d’heures qui s’allongeront, nous deux ensemble, dans des silences et des questions, jusqu’au lendemain, encore, histoire de t’échapper de ta petite chambre, de ta solitude, de ta situation contre laquelle je n’ai que peu d’armes, puisque c’est ce mot qui me vient, armes, comme un combat… histoire d’être aussi une présence voire une oreille face à la douleur qui s’impose en toi puisque là-bas on meurt.
Aussi il y a les livres. Tu me demandes ce qu’ils m’apportent, les livres. Le plaisir d’une belle phrase, je réponds tout d’abord. Ainsi va ce dimanche, qui va jusqu’au cinéma, on va voir le Gondry, au sortir duquel tu parleras de toi, ce toi enfoui, qui lutte aussi.
Aussi tu diras que je t’apaise. Mais je ne sais pas si c’est uniquement une qualité, je ne sais pas si c’est une manière de dire autre chose sur nos silences.
Samedi 7 octobre 2023
Il était une fois une guerre qui avait commencé le 11 janvier 1937. Ce qui s’était passé avant était la guerre des autres. À chaque soldat sa guerre, et celle d’Arcadi avait commencé ce jour-là. Il s’était engagé comme volontaire dans la colonne Maciá-Companys et était parti pour le front. C’est ainsi que commencent les histoires, aussi simple que ça.
::: Jordi Soler ; Les exilés de la mémoire
Je lis les premières pages tandis qu’il joue du flamenco à quelques mètres, hasard hispanique. Il fait beau, chaud, trop, trop de tout ça ; pas trop d’attente pour un café ce matin. Plus tard il s’approche, demande une petite pièce, fait une blague sur le soleil et mon bronzage alors je plonge la main. Deux euros. Trop ?
Vendredi 6 octobre 2023
Jeudi 5 octobre 2023

J’avais conservé, comme image-souvenir du film In the Mood for Love, la grâce de Maggie Cheung partie chercher des nouilles ; j’aurais peut-être même pu l’aimer. J’avais encore en moi, quelque part, le plaisir offert par une admirable heure et demie, que je crois avoir passée avec Fabien – ce qui situe le visionnage de ce film après le 1er avril 2001. Et la musique me poursuivra. J’étais encore alors, dans mes 26 ans, un cinéphile sans références ou si peu. J’étais alors sans regard photographique, ou peut-être, justement, avais-je déjà un amour du cadrage et des couleurs qui attendait d’être mis en pratique.
Ce soir, je retrouve tout cela, subjugué et presque embarrassé d’avoir attendu deux décennies pour revoir ce chef d’œuvre. Mais soudain, à deux reprises, il y a peut-être le moment le plus fort : des voix sur une pendule.

Mercredi 4 octobre 2023
Tu es venu pour me voler. Je dormais dans mon atelier. Sale et taché. J’ai entendu une vitre voler en éclats. L’intrus qui s’approchait de moi n’était pas subtil. Mais j’étais heureux que quelque chose se produise dans ma nuit solitaire. Peut-être ai-je espéré que c’était la mort qui entrait chez moi par effraction. Alors, question de ne pas l’effrayer, j’ai fait le mort.
::: Larry Tremblay ; Tableau final de l’amour
Mardi 3 octobre 2023
Il faut sans doute que cela sorte, les mots et puis les larmes un peu, ce pourrait être le vent, mais non ce n’est pas le vent.
Dimanche 1er octobre 2023
Ma mère aimait beaucoup bavarder avec celle de mon ami Bonnardier, malgré leurs quinze ans d’écart. Toutes deux partageaient une même passion pour les maladies, surtout les maladies mortelles. Ma mère souffrait d’arthrite, celle de Bonnardier d’arthrose. Quand elles se rencontraient au marché de Monplaisir, elles n’en finissaient pas de se raconter leurs martyres respectifs et se livraient à un âpre concours de symptômes. Du côté de ma mère, les fulgurances dans les doigts, du côté de Bonnardier les hanches broyées le soir. L’échange se terminait toujours sur un hypocrite constat d’égalité, chacune emportant au fond d’elle la certitude d’avoir gagné la manche.
::: Emmanuel Venet ; Précis de médecine imaginaire
Alors, le bermuda taché par les ronds humides d’herbe hachée, je quitte le jardin public. Depuis quand n’ai-je vu la mer ? To see or not to sea ?
Samedi 30 septembre 2023
Vendredi 29 septembre 2023
Dimanche 24 septembre 2023
Tu ne le sais peut-être pas, mais j’aime ce moment avec toi qui s’étire, j’aime qu’on nous voie ainsi, j’aime ton espièglerie, j’aime que tu fasses des selfies de nous, que tu nous montres dans une story, j’aime être presque secret, glisser du non-verbal pour ceux qui nous voient peut-être, et puis rire ou peut-être seulement sourire de ce qui se déroule sur scène, découvrir avec toi ce restaurant chinois ouvert hier, te voir hésiter sur la boisson, accepter de partager les plats, se délecter, et ainsi oublier ce qui m’attend demain et les jours suivants, oublier aussi que ce n’est rien, tout ça, les selfies et le reste, c’est fugace, c’est ce soir, ça glissera jusqu’à demain matin, et puis voilà. Et j’aime aussi m’en satisfaire.
Enfin, j’aime ici notifier la trace de soleil que tu laisses, comme d’autres, petits bonheurs souriants qui tôt ou tard s’éclipsent.
Samedi 23 septembre 2023
C’est un moment rare pour moi-même. Je suis au CAPC, qui fête ses cinquante ans, je suis assis, et j’écoute Sarkis — Sarkis qui avait sauvé mon ennuyeuse visite du Mac/Val le 24 août avec sa magnifique installation « Trésors de la mémoire » — parler de son travail après une introduction longue, presque vaine, chut Madame, laissez-le parler. C’est un moment rare car je viens si peu, ici ou là, écouter les artistes parler de leur travail, boire leur parole avant de les oublier. Les écrivains, oui, parfois. Les cinéastes, rarement. Les plasticiens jamais. A la radio, parfois, ils disent.
Vendredi 22 septembre 2023
Il y a alors cet espace entre les mots et le silence, comme un autre langage, flottant.
Jeudi 21 septembre 2023
– Donc tu t’appelleras Antoine Perrier.
– Oui et ça sonne très bourgeois catho j’adore.
Mercredi 20 septembre 2023
Alors Antoine Wauters dit cette phrase déjà dite autrefois et déjà écrite ici, il dit qu’il écrit pour être nombreux. Belle et complexe dans sa simplicité, cette phrase date d’un jour où j’allais avec lenteur, épuisé par les jours précédents.
J’attrape alors un bout de carton pour prendre quelques notes avant de tout oublier, mais ce sera tout comme. Je note :
– L’écriture d’une fiction, elle nous confisque.
– peureux / poreux
– « Je flottais déjà quand j’étais enfant c’est-à-dire que je recueillais les choses. »
Et puis au milieu j’écris cette phrase pour mon journal : il me revient à l’esprit la question de Tristan sur le bonheur de l’enfance. Je crois qu’au départ il — Tristan, donc — m’avait demandé quel était mon souvenir le plus heureux. Et puis il en était arrivé à l’enfance, ce qui ne changeait pas grand chose parce que, creusant dans mes souvenirs, je ne savais pas quoi lui répondre, si ce n’est qu’a priori le sentiment de bonheur ne m’avait pas pour habitude de m’envelopper. Le malheur non plus. Je flotte sans doute dans un entre-deux satisfaisant, fait de joies, de sourires ou de jouissances, de mélancolie, de peines ou de manque, provenant de ci de là et saupoudré de fatalisme.
Mardi 19 septembre 2023
Dimanche 17 septembre 2023
Samedi 16 septembre 2023
Tu es assis, torse nu, vêtu seulement d’un pantalon de pyjama, dans ta chambre de bonne, sur l’étroite banquette qui te sert de lit, un livre, les Leçons sur la société industrielle de Raymond Aron, posé sur tes genoux, ouvert à la page cent douze.
C’est d’abord seulement une espèce de lassitude, de fatigue, comme si tu t’apercevais soudain que depuis très longtemps, depuis plusieurs heures, tu es la proie d’un malaise insidieux, engourdissant, à peine douloureux et pourtant insupportable, l’impression d’être sans muscles et sans os, d’être un sac de plâtre au milieu de sacs de plâtre.
Le soleil tape sur les feuilles de zinc de la toiture. En face de toi, à la hauteur de tes yeux, sur une étagère de bois blanc, il y a un bol de Nescafé à moitié vide, un peu sale, un paquet de sucre tirant sur la fin, une cigarette qui se consume dans un cendrier publicitaire en fausse opaline blanchâtre.
::: Georges Perec, Un homme qui dort
Vendredi 15 septembre 2023
J’aurais aimé que tu restes. C’est ce que j’ai écrit hier par-dessus cette image de toi. Au matin, alors, les yeux embrumés, tandis que le ciel lumineux tente de me réveiller puisque le rideau est ouvert, je lis ta réaction. Elle n’est pas la première, puisque déjà tu m’as lu ici. Nous échangeons un peu, et puis tu me dis que ce qui était magique, c’était l’impossible. Je te réponds que je préfère la magie du possible.
J’ajoute qu’au moins je peux en tirer de jolies phrases. Quelque part, j’ai la chance de faire naître des mots de ces situations : tout n’est pas perdu. Peut-être que j’ose même parfois faire dire aux mots quelque chose d’autre, minimiser le manque ou l’amplifier, faire croire que je souffre ou sourire du rien, parce que ça sonne mieux, parce que, puisqu’il n’y a pas d’amour ou quelque chose qui y ressemble, autant se laisser envelopper par les mots plutôt que par des bras. Peut-être.
Jeudi 14 septembre 2023
– C’est bizarre ce trait blanc sur la photo.
– C’est un poil de chat.
Mercredi 13 septembre 2023
Tu me parles d’amour, de ce qui pourrait y ressembler encore, sans utiliser le mot. Tu me parles du désir que tu attends, des silences et des paroles, de sa présence malgré tout, de l’irrémédiable qui semble se dessiner entre vous, du brouillard, des nuages et de toute cette panoplie de métaphores météorologiques par lesquelles on passe dans ces moments d’incertitude. Tu souffres mais tu ne le dis pas. Je ne le demande pas non plus. Tu es au croisement de plusieurs chemins : un nouveau logement, lundi un travail, deux nouveaux polos dont l’un que tu troues.
Je ne te parle par d’amour, ça n’y ressemble pas encore, c’est trop loin, trop haché, trop impossible. Je te parle du verbe écrire, c’est plus solide, c’est une autre forme d’attente et ça n’est, finalement, que pour moi. J’écris pour savoir si je peux écrire. Alors que je sais déjà que je peux aimer. Une fois que tu es parti, je choisis des images et j’essaie d’y mettre des mots : des images de V, encore plus loin, encore plus impossible.
Mardi 12 septembre 2023
Nous avons regardé une par une toutes les illustrations du livre. Il y avait une vingtaine de cartes postales de la série. À la fin, Lola m’a proposé d’emmener celles qui m’intéressaient. Je lui ai expliqué que je ne pourrais certainement pas les lui rendre avant longtemps et que je ne savais pas ce que j’en ferais. Mais elle a répondu que ce n’était pas grave. J’ai accepté avec le sentiment que ce n’était pas seulement moi qui les empruntais mais surtout Lola qui me les confiait et que c’était peut-être une façon pour elle de continuer le travail qu’ils avaient entrepris avec son mari. Une façon de continuer à transmettre cette mémoire.
::: Henri-François Imbert ; No pasarán, album souvenir ; 2003
Lundi 11 septembre 2023
Et puis soudain vous me regardez, vous cherchez une connivence amusée parce que vous étiez appuyé contre la porte du tram lorsqu’elle s’est ouverte mais mon sourire est léger, comme si je savais déjà que je n’ai pas ma place. En deux ou trois secondes à peine vous me regardez, détournez le regard, me regardez encore, me souriez, encore un dernier regard éclair et pas grand chose de plus, j’y vois plus une surprise qu’une attraction, peut-être que vous aimez mes lunettes, peut-être que je vous rappelle quelqu’un, tout cela va si vite. Vous replongez dans votre roman. Vous lisez Petit Pays, de Gaël Faye. Et puis vous comprenez que je vous regarde alors vous vous tournez, de l’autre côté. Mais vous vous déplacez ensuite, laissez la place à celleux qui montent, vous vous rapprochez de moi en me tournant le dos, il s’agit pour vous d’effacer les regards et le sourire qui ont précédé, alors nous tenons la même barre verticale, je surplombe votre chevelure brune puisque vous êtes plus petit, là il y a votre épaule que le poids de sac dénude. Je pourrais lire les pages du livre mais non à la place je pense que je pourrais vous dire que vous êtes beau, vraiment beau, magnifique, l’adjectif vous gênerait, autour des inconnus sourirait de mon toupet, je me dis que je pourrais vous demander si vous accepteriez d’être photographié et je me demande si vous sentez mon souffle sur votre bras alors je tourne la tête pour vous l’épargner et puis vous touchez ma main, c’est bref, le temps de vous raccrocher à la barre après avoir tourné la page alors vous tournez la tête et vous me souriez et je vous le renvoie. Un dernier soubresaut du tram, vous me heurtez, un dernier regard, je dis que ce n’est rien. Je descends. Je ne me retourne pas.
Dimanche 10 septembre 2023
J’ai mal à la tête.
Combien de fois ai-je répété ces mots ? Et au moment même où ils franchissent mes lèvres, réalisé que rien n’a changé.
Et pourtant, je ne peux m’empêcher de le dire : j’ai mal à la tête.
Ce n’est pas la vérité ou l’exactitude que je recherche lorsque j’énonce j’ai mal à la tête. Ni même la compassion de mon interlocuteur (on a beau s’épancher, la douleur reste avant tout une affaire personnelle, où l’autre ne peut tenir qu’un rôle mineur). Non, ce que je désire, inconsciemment, c’est capturer le mal de tête dans le filet du langage. M’en débarrasser par le simple fait de le nommer.
::: Raphaël Rupert ; Mes migraines
Samedi 9 septembre 2023
Au matin il y a le soleil, encore supportable, il y a une terrasse où souvent j’aime venir, il y a les minutes qui s’allongent pour un café parce que ça ne va jamais très vite ici, j’ai presque fini le Garcin. La femme à ma gauche mange un gâteau acheté dans une chaîne, je reconnais l’emballage, probablement rue Ste Catherine. Elle le mange en cachette, comme on fait quand on ne sait pas si on a le droit de… Il suffisait qu’elle demande, la serveur aurait dit que oui, oui bien sûr, en souriant peut-être. Souriante, la serveuse, 30 centimes de pourboire.
L’après-midi il y a d’autres livres que JLM apporte, le Garcin on en parle, il l’a acheté, l’a lu, et il y en a d’autres qui viennent se rajouter sur des étagères déjà pleines. Les vides se rétrécissent, se raréfient, se sacrifient. Tu as lu tous ces livres ?, on me demande souvent. Alors je dis que non, qu’ils ne sont pas à moi, sauf la rangée là-haut, sauf l’étagère plus bas avec tout le Japon et puis dans la chambre, sous le lit aussi.
Le soir il y a C, plus tôt que prévu. Ce n’était pas demain ?
– And where will you sleep?
– Don’t know… Here?
Vendredi 8 septembre 2023
Alors soudain il y a Baudrillard qui parle du travail de Sophie Calle (à partir de 9min05) qui me donne sans doute une clé pour comprendre pourquoi j’aime cette artiste – quand bien même son expo à Orsay m’avait déçu voire agacé – ou plutôt pourquoi elle me parle : « Sophie, elle n’avait pas de culture philosophique et toutes ces histoires-là et donc elle charriait pas cette tonne d’idées et tout ça qui empêchent les gens de faire… bon la plupart du temps ils sont pris déjà dans le meta-langage et tout pis ils font rien quoi.«
Jeudi 7 septembre 2023
J’avais un frère fragile. Maintenant qu’il est mort, il me parait plus fort, et je me sens plus faible. En vérité, je ne sais plus qui, de nous deux, était le plus fragile.
::: Jérôme Garcin ; Mes Fragiles
Mercredi 6 septembre 2023
Mardi 5 septembre 2023
Alors à 7h58 il y a ta voix qui a peur de me réveiller : il était 3h33 ici lorsque tu m’as laissé un message. Tu m’y parles de Beau Travail, ce film de Claire Denis. C’est magnifique, tu dis, et ça te fait penser à Querelle. Alors tu penses à moi.
Lundi 4 septembre 2023
Il y a sur les murs des photographies, des peintures, des tricots… le Chili, 1973 – 2023. Je suis là sans être là, pour voir un peu, sans savoir ce qu’il y a à voir. Je suis seul, comme souvent. Je suis en retard, comme souvent, un peu voulu, un peu subi. Et bien vite je repars, je les laisse entre eux. J’ai pris un prospectus : il y a des rendez-vous, des films, des conférences. Irai-je ?































