Jeudi 26 octobre 2023

Un bar, presque toujours le même, une table bruyante, un verre puis une deuxième, une planche mixte, dehors il pleut. J, E et moi réunis. Les mois ont passé, ils passent, passeront encore en un autre rythme que ceux qu’on a connus autrefois, c’était il y a deux ans encore, peut-être, alors nous étions ensemble, c’est-à-dire si souvent ensemble. Que sommes-nous encore ? Nos quotidiens s’éparpillent, et moi aussi. Alors je parle de vous.

::: Matteo Garrone ; Dogman, 2018

 

Mercredi 25 octobre 2023

On se dit “Carcassonne ?”, car c’est à mi-chemin. Mais peut-être ne faut-il pas faire les choses à moitié.

Vendredi 20 octobre 2023

Ce sont deux images que j’envoie, l’une est évidente, l’autre trop, les deux partent en pièces jointes d’un message qui dit le doute, la complexité, les croisements où ma photographie se trouve aujourd’hui. Ces deux images déplacent mon travail, elles vont plus loin que ce que je montre , encore plus loin que par là-bas mais elles creusent ce que le prénom Z, discret, hésite encore à dévoiler. J’aime ça. C’est pourtant un visage, que je montre. Sans le montrer. Encore une histoire d’absence.

L’une des deux photos bientôt sera montrée ici ; j’ai la joie d’y être invité.

Jeudi 19 octobre 2023

Il s’agit de retrouver un rythme, parce que le corps s’affaisse, s’affaiblit, et ça fait pffff. Le rythme du travail, de 9h25 à 18h passées, chaque jour, n’a pas réellement faibli, lui, mais c’est différent depuis peu, sans doute l’esprit est plus libre, moins contraint, alors il a de la place pour ça.

Ainsi sans réfléchir ou si peu, j’y vais, 5 minutes à pieds peut-être, direction rue du Parlement Sainte Catherine, toujours je passe devant la librairie, je jette un œil à la vitrine. Je n’y reste pas trop longtemps, quelques machines, un peu de course, le temps de lutter contre mon corps, lutter en attendant ce moment où la lassitude et une fatigue satisfaisante apparaissent, oxymore sportif. Occis mort ?

Mardi 17 octobre 2023

Il me reste une photo, en noir et blanc, de notre dernier anniversaire ensemble. Elle est datée d’octobre 1961. Nous avons cinq ans. Il y a plein de cadeaux, de gâteaux, de bonbons, de pochettes-surprises, sur une table ronde et blanche, dans le jardin de Bray-sur-Seine gouverné par un très vieil acacia au tronc si gros qu’on ne peut l’enlacer et aux racines si protubérantes qu’elles paraissent former une manière de tumulus enherbé. La lumière de l’automne est encore claire.
::: Jérôme Garcin ; Olivier

Évidemment tu n’es pas d’ici, évidemment tu repars bientôt, évidemment tu as une autre vie, évidemment j’aurais pu t’aimer.

Dimanche 15 octobre 2023

Nous nous retrouvons au musée pour partager ce regard sur les corps, je t’attends dehors avec un café, toi tu n’en bois pas. Avant je suis monté à la Croix Rousse, j’ai vu Allan, nous nous sommes donnés rendez-vous le soir, j’ai vaguement erré dans ce quartier coloré aux inévitables airs de dimanche, je suis redescendu vers la Tête d’or. J’ai tant aimé grimpé, m’essouffler un peu, dominer l’horizon, glisser vers le fleuve. Nous voilà.

L’exposition me plait, étonnamment : je ne suis pas un grand fan des rendez-vous thématiques dans lesquels on saute d’un·e artiste à un·e autre. Ici l’approche est simple, il n’y a pas pléthore de pièces, peut-être que les cartels savent me parler. Peut-être que j’aime être là, tout simplement. Sans doute j’aime les couleurs des murs. Peut-être que je me sens un spectateur à égalité avec toi. Peut-être que la question des corps nous convient.

Vendredi 13 octobre 2023

J’ai vécu jusqu’à mes dix-huit ans dans un petit village d’Ardenne où mon imagination se trouve encore. Que je le veuille ou non, tout ce que j’écris vient de là : des quelques mètres carrés du hangar à poules de Papou, de l’odeur des fraises qu’il cultivait derrière l’église, face aux collines de Hoyemont, au-dessus de l’Ourthe et de l’Amblève, des silos à foin de la ferme de Jacques Martin, des bêtes sachant d’instinct trouver le bonheur, des machines agricoles défoncées par l’usage, dans le purin.
::: Antoine Wauters ; Le plus court chemin

Vers Lyon. Dans mon carnet, j’écris que je vais vers demain.

Le trajet s’étire, j’ai le temps de lire et d’être surpris par la beauté de certains passages, qui vont bien au-delà de quelques souvenirs. Ils vont là où j’aimerais aussi aller, il suffirait d’en prendre la route, celle vers l’enfance. “L’écriture est un fil posé sur l’oubli“, écrit l’auteur. C’est cela. Puis plus loin page 57 : “C’est un pays, un lieu qui me devance et vers lequel je tends. Le seul endroit où l’on peut me trouver – et le seul où je me trouve. Partout ailleurs je n’y suis pas. Je n’ai lieu que là“. En cela nous sommes différents : je suis en d’autres endroits. Mais j’aime tant qu’il reprenne ces mots de pays, de lieu et qu’il les déplace comme j’ai tant le faire. Et puis j’admire : Je n’ai lieu que là. Je crois que cette phrase va me poursuivre comme certaines de Duras ou Perec. Page suivante il poursuit et dans mon carnet je note “Page 58 : !!!”

Et puis, une fois encore, à travers la vitre, je regrette de ne pas cartographier les paysages aperçus.

Jeudi 12 octobre 2023

Place Saint-Projet, terrasse calme, serveur amusant, anisette, cacahuètes. Il y a en face de moi ton esprit de douleur, depuis hier tu revis l’accident et le pire qui aurait pu arriver. Il me faut savoir quoi dire, donc il nous faut aussi ne pas en parler, aller sur d’autres chemins, légers, mais où en est l’entrée ? Soudain le téléphone, ma sœur. Il y a au bout du fil sa voix fatiguée, exténuée. De mon côté la mienne qui ne sait pas les mots.

Dimanche 8 octobre 2023

Nous nous retrouvons dans ton libanais préféré, il fait beau, c’est le début de l’après-midi, c’est le début d’heures qui s’allongeront, nous deux ensemble, dans des silences et des questions, jusqu’au lendemain, encore, histoire de t’échapper de ta petite chambre, de ta solitude, de ta situation contre laquelle je n’ai que peu d’armes, puisque c’est ce mot qui me vient, armes, comme un combat… histoire d’être aussi une présence voire une oreille face à la douleur qui s’impose en toi puisque là-bas on meurt.

Aussi il y a les livres. Tu me demandes ce qu’ils m’apportent, les livres. Le plaisir d’une belle phrase, je réponds tout d’abord. Ainsi va ce dimanche, qui va jusqu’au cinéma, on va voir le Gondry, au sortir duquel tu parleras de toi, ce toi enfoui, qui lutte aussi.

Aussi tu diras que je t’apaise. Mais je ne sais pas si c’est uniquement une qualité, je ne sais pas si c’est une manière de dire autre chose sur nos silences.

Samedi 7 octobre 2023

Il était une fois une guerre qui avait commencé le 11 janvier 1937. Ce qui s’était passé avant était la guerre des autres. À chaque soldat sa guerre, et celle d’Arcadi avait commencé ce jour-là. Il s’était engagé comme volontaire dans la colonne Maciá-Companys et était parti pour le front. C’est ainsi que commencent les histoires, aussi simple que ça.
::: Jordi Soler ; Les exilés de la mémoire

Je lis les premières pages tandis qu’il joue du flamenco à quelques mètres, hasard hispanique. Il fait beau, chaud, trop, trop de tout ça ; pas trop d’attente pour un café ce matin. Plus tard il s’approche, demande une petite pièce, fait une blague sur le soleil et mon bronzage alors je plonge la main. Deux euros. Trop ?

Jeudi 5 octobre 2023

::: Wong Kar Wai ; In The Mood For Love ; 2000
::: Wong Kar Wai ; In The Mood For Love ; 2000

J’avais conservé, comme image-souvenir du film In the Mood for Love, la grâce de Maggie Cheung partie chercher des nouilles ; j’aurais peut-être même pu l’aimer. J’avais encore en moi, quelque part, le plaisir offert par une admirable heure et demie, que je crois avoir passée avec Fabien – ce qui situe le visionnage de ce film après le 1er avril 2001. Et la musique me poursuivra. J’étais encore alors, dans mes 26 ans, un cinéphile sans références ou si peu. J’étais alors sans regard photographique, ou peut-être, justement, avais-je déjà un amour du cadrage et des couleurs qui attendait d’être mis en pratique.

Ce soir, je retrouve tout cela, subjugué et presque embarrassé d’avoir attendu deux décennies pour revoir ce chef d’œuvre. Mais soudain, à deux reprises, il y a peut-être le moment le plus fort : des voix sur une pendule.

::: Wong Kar Wai ; In The Mood For Love ; 2000
::: Wong Kar Wai ; In The Mood For Love ; 2000

Mercredi 4 octobre 2023

Tu es venu pour me voler. Je dormais dans mon atelier. Sale et taché. J’ai entendu une vitre voler en éclats. L’intrus qui s’approchait de moi n’était pas subtil. Mais j’étais heureux que quelque chose se produise dans ma nuit solitaire. Peut-être ai-je espéré que c’était la mort qui entrait chez moi par effraction. Alors, question de ne pas l’effrayer, j’ai fait le mort.
::: Larry Tremblay ; Tableau final de l’amour

Mardi 3 octobre 2023

Il faut sans doute que cela sorte, les mots et puis les larmes un peu, ce pourrait être le vent, mais non ce n’est pas le vent.

Dimanche 1er octobre 2023

Ma mère aimait beaucoup bavarder avec celle de mon ami Bonnardier, malgré leurs quinze ans d’écart. Toutes deux partageaient une même passion pour les maladies, surtout les maladies mortelles. Ma mère souffrait d’arthrite, celle de Bonnardier d’arthrose. Quand elles se rencontraient au marché de Monplaisir, elles n’en finissaient pas de se raconter leurs martyres respectifs et se livraient à un âpre concours de symptômes. Du côté de ma mère, les fulgurances dans les doigts, du côté de Bonnardier les hanches broyées le soir. L’échange se terminait toujours sur un hypocrite constat d’égalité, chacune emportant au fond d’elle la certitude d’avoir gagné la manche.
::: Emmanuel Venet ; Précis de médecine imaginaire

Alors, le bermuda taché par les ronds humides d’herbe hachée, je quitte le jardin public. Depuis quand n’ai-je vu la mer ? To see or not to sea ?

Dimanche 24 septembre 2023

Tu ne le sais peut-être pas, mais j’aime ce moment avec toi qui s’étire, j’aime qu’on nous voie ainsi, j’aime ton espièglerie, j’aime que tu fasses des selfies de nous, que tu nous montres dans une story, j’aime être presque secret, glisser du non-verbal pour ceux qui nous voient peut-être, et puis rire ou peut-être seulement sourire de ce qui se déroule sur scène, découvrir avec toi ce restaurant chinois ouvert hier, te voir hésiter sur la boisson, accepter de partager les plats, se délecter, et ainsi oublier ce qui m’attend demain et les jours suivants, oublier aussi que ce n’est rien, tout ça, les selfies et le reste, c’est fugace, c’est ce soir, ça glissera jusqu’à demain matin, et puis voilà. Et j’aime aussi m’en satisfaire.

Enfin, j’aime ici notifier la trace de soleil que tu laisses, comme d’autres, petits bonheurs souriants qui tôt ou tard s’éclipsent.

Samedi 23 septembre 2023

C’est un moment rare pour moi-même. Je suis au CAPC, qui fête ses cinquante ans, je suis assis, et j’écoute Sarkis — Sarkis qui avait sauvé mon ennuyeuse visite du Mac/Val le 24 août avec sa magnifique installation “Trésors de la mémoire” — parler de son travail après une introduction longue, presque vaine, chut Madame, laissez-le parler. C’est un moment rare car je viens si peu, ici ou là, écouter les artistes parler de leur travail, boire leur parole avant de les oublier. Les écrivains, oui, parfois. Les cinéastes, rarement. Les plasticiens jamais. A la radio, parfois, ils disent.

Jeudi 21 septembre 2023

– Donc tu t’appelleras Antoine Perrier.
Oui et ça sonne très bourgeois catho j’adore.

Mercredi 20 septembre 2023

Alors Antoine Wauters dit cette phrase déjà dite autrefois et déjà écrite ici, il dit qu’il écrit pour être nombreux. Belle et complexe dans sa simplicité, cette phrase date d’un jour où j’allais avec lenteur, épuisé par les jours précédents.

J’attrape alors un bout de carton pour prendre quelques notes avant de tout oublier, mais ce sera tout comme. Je note :
– L’écriture d’une fiction, elle nous confisque.
– peureux / poreux
– “Je flottais déjà quand j’étais enfant c’est-à-dire que je recueillais les choses.”

Et puis au milieu j’écris cette phrase pour mon journal : il me revient à l’esprit la question de Tristan sur le bonheur de l’enfance. Je crois qu’au départ il — Tristan, donc — m’avait demandé quel était mon souvenir le plus heureux. Et puis il en était arrivé à l’enfance, ce qui ne changeait pas grand chose parce que, creusant dans mes souvenirs, je ne savais pas quoi lui répondre, si ce n’est qu’a priori le sentiment de bonheur ne m’avait pas pour habitude de m’envelopper. Le malheur non plus. Je flotte sans doute dans un entre-deux satisfaisant, fait de joies, de sourires ou de jouissances, de mélancolie, de peines ou de manque, provenant de ci de là et saupoudré de fatalisme.