Mardi 21 mars 2023

Alors, puisque hier tu étais là, devant moi, et ici dans mes mots, ce soir je t’envoie des phrases, je sais que tu aimes cela. Tu as abandonné la littérature pour vivre autrement mais elle est toujours là et il y a tes poèmes. J’enregistre un passage de Pierre Michon parce qu’il est beau, parce qu’il y a un présent ou milieu du passé ; j’ai envie que tu connaisses cela :
“A la fin de novembre le temps changea, les eaux se prirent. Les champs inondés gelèrent, des touffes de jonc cuites sortaient toutes droites de l’étendue. On était dans l’époque où on vend des vignettes pour les autos ; il pouvait être trois heures et nous étions encore un dimanche.”

Lundi 20 mars 2023

Entre Les Martres et Saint-Armand-le-Petit, il y a le bourg de Castelnau, sur la Grande Beune. C’est à Castelnau que je fus nommé, en 1961 : les diables sont nommés aussi je suppose, dans les Cercles du bas ; et de galipette en galipette ils progressent vers le trou de l’entonnoir comme nous glissons vers la retraite. Je n’étais pas encore tombé tout à fait, c’était mon premier poste, j’avais vingt ans. l n’y a pas de gare à Castelnau ; c’est perdu ; des autobus partis le matin de Brive ou de Périgueux vous y larguent fort tard, en bout de journée. J4y arrivai la nuit, passablement ahuri, au milieu d’un galop de pluies de septembre cabrées contre les phares, dans le battement de grands essuie-glaces ; je ne vis rien du village, la pluie était noire.
::: Pierre Michon ; La Grande Beune

Il y a cette image de toi parmi tant d’autres : ce soir, je creuse. Je cherche ce qu’il y a à dire avec toutes ces photos, je cherche ce que je dois garder. C’est sans fin. J’ai l’impression d’avoir écrit cela cent fois ici. J’ai l’impression que je n’ai plus que ça, cette quête, ce regard sur un passé, des passés. Mais parfois tu apparais et toujours je suis surpris.

Samedi 18 mars 2023

Tu m’écris. Je dors alors. C’est l’après-midi. Je ne réponds pas alors tu précises “Tu dois faire des photos j’imagine.” J’y lis, au réveil, que soit tu t’intéresses un peu à moi, soit tu cherches à me le faire croire. Cela fait trois mois. Tu le sais. Mais tu tentes quand même. Je pense que tu sais que je viendrai. Tu sais sûrement que je veux savoir s’il est encore dans ta vie. Je ne crois pas avoir une place mais moi aussi, je tente quand même.

Mardi 7 mars 2023

Il y a un message d’une minute, puis un deuxième. Il dit qu’il a regardé mes photos, les deux dernières, il dit qu’il y a quelque chose d’assez sombre, presque criminel, et puis il dit que je pourrais faire partie des photographes invités en fin d’année. Il aime énormément l’épave de voiture. Il pourrait poser, aussi.

Lundi 6 mars 2023

Je cherche le prénom de L : j’hésite à mettre son visage au milieu des images. La photo a été prise à Versailles, c’était l’été, il y avait Z aussi.

Et puis le visage d’A apparait sur la plateforme de discussion verte : je n’avais répondu à son smiley du 17 août 2020, je ne sais pas pourquoi.

Non pas que je l’avais oublié, son visage. Mais il est le même mais un autre : une boucle d’oreille assume une identité. Il ne sourie pas, il est presque de profil, il regarde l’objectif ; ses yeux sont verts, sa barbe brune, ses cheveux ras comme en 2019. Il est ceux qui resplendissent quand ils ne sourient pas.

Je suis pour lui un premier souvenir. Il est pour moi le souvenir d’un prénom menti. Il se serait alors appelé comme mon grand-père, même prénom, même nom – le deuxième pour lui, celui de sa mère. Combien ont menti sur un âge, une géographie, un état du cœur, un état civil, glissant entre les non dits pour être ce qu’ils voulaient alors être eu moment du silence : un autre.

Dimanche 5 mars 2023

Il y a d’abord des confettis et puis la foule, des petites filles avec des ailes et des enfants éternels parés comme bon leur semble. Nombreux sont ceux qui guettent l’arrivée du carnaval. Et toi tu es là aussi ; c’est moi que tu attends.

Lundi 27 février 2023

C’est revenu sans prévenir : j’ai regardé mes images. J’en ai envoyées à J et N, celles d’août ; elles étaient coincées, dirais-je, coincées entre mon embarras et ma lassitude.

Dimanche 26 février 2023

C’est un premier visage connu, très très connu puisque vu chaque jour au travail, accompagné de cette fille qui elle, vaguement, me dit quelque chose. Elle est, elle aussi, peut-être, de cette communauté vaste de plus de 750 personnes pour laquelle je travaille. Un autre visage connu, très très connu (puisque etc.), suivra, puis deux, puis deux encore, descendant aussi au sous-sol de la pizzeria où nous dînons, P et moi. Je les salue, dans une langue ou une autre, glisse dans un demi-rire que ça se passe downstairs, leur visage s’étonne en me voyant. Il y a une salle, 18 places, et des formules pizzas et vin rouge, me dit la serveuse. Ils sont tous de cette jeunesse doctorante qui anime régulièrement de rires l’espace restauration où parfois je déjeune seul parce que c’est bien ainsi. La communauté aussi, certains l’animent de leurs articles, ils sont brillants, jeunes, il y a des couples d’amoureux, et tout ça vibre, réjouissant.

Lundi 20 février 2023

Un marais n’est pas un marécage. Le marais, c’est un espace de lumière, où l’herbe pousse dans l’eau, et l’eau se déverse dans le ciel. Des ruisseaux paresseux charrient le disque du soleil jusqu’à la mer, et des échassiers s’en envolent avec une grâce inattendue — comme s’ils n’étaient pas faits pour rejoindre les airs — dans le vacarme d’un millier d’oies des neiges.
Puis, à l’intérieur du marais, çà et là, de vrais marécages se forment dans les tourbières peu profondes, enfouis dans la chaleur moite des forêts. Parce qu’elle a absorbé toute la lumière dans sa gorge fangeuse, l’eau des marécages est sombre et stagnante. Même l’activité des vers de terre paraît moins nocturne dans ces lieux reculés. On entend quelques bruits, bien sûr, mais comparé au marais, le marécage est silencieux parce que c’est au cœur des cellules que se produit le travail de désagrégation. La vie se décompose, elle se putréfie, et elle redevient humus : une saisissante tourbière de mort qui engendre la vie.
::: Delia Owens ; Là où chantent les écrevisses

Samedi 18 février 2023

Tu es un visage connu mais disparu des écrans. Depuis quand ? Quelques mois ? Tu es parmi tous ceux qui sont restés coincés dans ces formules du type “On se voit bientôt ?” et puis tu es là. Enfin pourrais-je ajouter. Tu es avec D, je vous souris. J’ai hésité à venir, pourtant.

Mardi 14 février 2023

Quand j’en arrive aux notes prises lors de relectures antérieures – je relis, je note ce que m’évoque ma relecture, je recopie des fragments, je fais les mêmes constats et prends les mêmes résolutions , dont celle d’arrêter de me relie -, je me retrouve entre deux miroirs en vis-à-vis, face au vertige d’un gouffre sans fond.
::: Bruno Pellogrino ; Tortues

Samedi 11 février 2023

Il dort sur le banc. Elle ne bouge pas, son corps est vissé sur la chaise, les filles et Gilles sont dans la cour. Ils sont sortis aussitôt après avoir mangé, ils savent qu’il ne faut pas faire de bruit quand il dort sur le banc.
::: Marie-Hélène Lafon ; Les Sources

Tu dis “Je vais partir de Bordeaux” comme si tu avais senti immédiatement qu’il y avait un possible. Tu l’as déjà dit un peu plus tôt, dans le brouhaha joyeux où nous sommes peu à danser. Toi tu ne danses pas. Tu le redis, tu vas partir de Bordeaux, tu as beaucoup bu, tu as l’alcool fragile et audacieux, et ce qu’il reste de vodka dont la bouteille restera au bar avec ton prénom dessus : F.

Mardi 7 février 2023

Je n’ai aucun souvenir de ce voyage. Même ce moment de l’annonce, je le reconstitue. Je dis mes parents un soir, c’était peut-être ma mère un matin. Il me reste à peine de très, très vagues impressions –  une sorte de marché dans une rue d’Istanbul. Légumes dans des caisses en plastique, édifice en contre-plongée, la rue est en pente et c’est tout, et je ne veux pas décrire davantage parce que déjà je déforme.
::: Bruno Pellegrino ; Tortues

Je dis à J que je n’écris plus ici. Je ne dis pas tout à fait pourquoi, peut-être parce que je n’arrive pas plus à dire qu’à écrire, dans une forme d’épuisement né des journées, à peu près de 9h30 à 18h, du lundi au mercredi, où je donne beaucoup, du coq à l’âne via d’autres bestioles, plutôt des souris, parfois des têtards, et puis il y a les singes. Hier un ambassadeur, même si j’ai fait peu présence.

Et puis, je crois que je laisse le silence s’installer ici comme il s’installe avec T. Je crois que ce qu’il y a à dire n’a pas la joliesse que j’attends. L’état amoureux est, ici, indicible : absent. Sans doute le reste n’a pas beaucoup d’importance, même si jusqu’alors, ou pendant longtemps, c’est le peu – le reste – dont j’ai témoigné. Peut-être que le peu a pris trop de place. Peut-être que faute d’un Autre, faute d’un état amoureux, je me contente des images, des films et des livres et laisse planer l’indicible de ceux qui passent.

Et puis tout simplement, c’est bien de souffler un peu.

Alors silence.