Il est 21h12 lorsque tu m’appelles pour me trouver, je me lève, je t’aperçois, lève le bras, te voilà. 32 minutes plus tôt, tu me disais partir. J’en faisais autant, sans réfléchir qu’il te faudrait plus de temps que moi, sans te demander surtout si tu étais au travail – tout près – ou chez toi – bien plus loin – c’est-à-dire dans cet endroit où tu loges actuellement et que peut-être tu n’appelles pas chez toi, puisque chez toi c’est ailleurs mais que tu n’y vas pas, tu n’iras plus, c’est un lieu devenu inhabitable une nuit d’été.
Je me rassieds une fois que tu es là, après que mon front aura heurté ta casquette en nous embrassant, casquette à la teinte verte sous les réverbères. Ta chemise aussi, au loin, semblait avoir ce coloris, mais de près c’est quelque chose de crème, dirais-je, avec des motifs, des lignes ou des rectangles. Le rat qui était passé un peu plus tôt, dans l’herbe, était plus gris.
Lundi 6 septembre 2021
Personne ne lui a demandé comment elle était habillée ce matin-là mais elle a tenu à le préciser, qu’elle n’avait pas autre chose à se mettre que des baskets blanches mais savoir quelle robe ou jean siérait à l’occasion, idem du rouge brillant qui couvrirait ses lèvres, elle y pensait depuis l’aube.
Tanguy Viel ; La Fille qu’on appelle.
Dimanche 5 septembre 2021
Alors il y a eu tant d’images vues, là, aux Rencontres d’Arles, et j’aurais pu ne pas les voir si tu n’étais pas venu, puisque l’idée d’être seul ne me faisait envie. Tant d’images, mais tant de présence aussi, amicale puisque tu étais là avec ce regard que tu as et ce sourire toujours, souriant d’être ici, souriant en pensant à un autre, souriant aux voisins de table, les uns et les autres, jusqu’au moment léger d’un apéritif : à gauche comme à droite, nous avions tous vécu – et tu y vis encore – à Ménilmontant, à supposer que mon coin de la rue de la Mare en fît partie, et voilà le patron du bar nous narrant ses aventures parisiennes de son accent corse. Rien que pour cela, peut-être, rien que pour ce moment, peut-être, il fallait venir.
Samedi 4 septembre 2021
Vendredi 3 septembre 2021
Jeudi 2 septembre 2021
Jules
Je marche. Je connais le chemin. C’est mon pays ici. Je marche. Sans lever la tête. Sans croiser le regard de ceux que je dépasse. Ne rien dire à personne. Ne pas répondre si l’on s’adresse à moi. Ne pas se soucier non plus, de ce sifflement dans l’oreille. Cela passera. Il faut marcher. Tête baissée. Je connais le chemin par cœur. Je me faufile sans bousculer personne. Une ombre. Qui ne laisse aucune prise à la fatigue. Le sifflement dans mes oreilles. Oui. Comme chaque fois après le feu. Mais plus fort. Assourdissant. Le petit papier bleu au fond de ma poche. Permission accordée. Je suis sourd mais je cède ma place. Au revoir Marius. Je lui ai tendu le papier bleu qu’on venait de m’apporter. J’avais honte. Je ne pouvais pas lui annoncer moi-même que j’allais partir et qu’il allait rester.
Laurent Gaudé ; Cris
Mercredi 1er septembre 2021
Sur les images faites vers midi, elle sourit beaucoup, d’un sourire plein de toutes ses joyeuses dents, et je ne vois pas, sur le moment, le nœud doré qui orne sa jupe. Son haut est noir, le tout est beau, élégant, discret, et nous avons rapidement trouvé un lieu pour le portrait. Ce n’est que demain qu’elle me dira qu’elle n’aime pas son visage. La lumière y est douce, plus tard je retoucherai sa peau, mais d’abord sa collègue, tout juste arrivée, pose elle aussi. Elle esquisse un sourire, c’est simple et lumineux.
Et puis voilà le soir. Tu ne souris pas tout à fait. Les semaines ont passé.
J’aimerais trouver les mots ici, et devant toi aussi, être juste. Je te regarde. Ta chevelure me rappelle celle que j’avais sur cette photographie où j’ai trois ans à peine.
J’ose te demander. Il y a quelque chose, dans notre amitié, ou dans ma compassion, ou ailleurs peut-être, qui a besoin d’en savoir un peu plus sur ce basculement de ta vie, sur ces minutes et puis ces heures, afin d’être un peu plus au bon endroit, témoin distant, bras entourant. Tu racontes.
Tu parles, à un moment, du pouvoir des images, celles où il apparait, maintenant qu’il n’est plus là. Ici, dans ce journal, je ne sais comment dire ce moment avec toi : à quel autre moment de ma vie m’a-t-on parlé de la mort d’un être aimé ? … d’un être qui était là, et qui soudain…
Il y a cet exemple. Mais je n’en sais rien. Je ne sais qu’une chose : le nombre d’années qui ont suivi.
Mardi 31 août 2021
Ça s’appellerait le Soupir des Vagues. Ce serait le film que je suis allé voir, même si devait il faisait beau, parce que c’était ainsi, décidé et prévu. J’aurais un peu dormi, par intermittence, durant les quinze ou vingt premières minutes du film, dans pour autant manquer ce qu’il ne fallait pas manquer, car tout s’est révélé dans les dernières minutes. Il y avait eu avant, tout ce qui porte un film, au-delà d’une intrigue et d’une moralité, et j’avais aimé ça : comment des amoureux n’arrivent à rien se dire.
Lundi 30 août 2021
Dimanche 29 août 2021
Tu es de ces amis de treize ans qui m’ouvrent grands les bras, là, au milieu des paysages inédits. C’était l’été peut-être, c’était 2018, et le chat était passé par la fenêtre. Cette fois il s’agirait d’un chien, aux yeux bleus comme le ciel, il viendrait nous sourire aux abords d’une piscine. Plus tôt l’enfant riait.
Il y eut des canards aussi, et Brantôme, ville charmeuse et ennuyeuse, qui n’a que pour elle que nos moqueries enfantines devant ceux qui pagaient, que nos railleries d’adultes devant un café fade et puis quelques canards. Mais qu’importe tout ça, puisque encore, ici je m’en fais témoin, nous aimons être ensemble. Rarement, mais ensemble.
Samedi 28 août 2021
Je crois qu’il n’y a qu’avec toi, réellement, que nous allons aussi loin dans ce qui nous traverse, et dans ce que l’autre peut nous apporter. Encore une fois, tu attends de moi un regard, des réponses, quelque chose qui fait avancer ce qui stagne ou recule ou tournoie. Je suis un confident, un peu. Je suis le seul à savoir, parfois. Je suis celui à qui tu as fait suivre cette lettre, il y a un an peut-être, toi-même ne l’avais pas lue. En quittant la chambre d’hôtes, au matin de ce samedi, avant que nous découvrions la joliesse de la région, telle abbatiale, telle bastide, telle petite boutique où l’on m’offre un collier alors que c’est toi qui a dépensé, les propriétaires ont dû nous croire ensemble. Alors j’ai glissé que le soir, nos chemins se sépareraient. J’aurais pourtant aimé qu’ils se prolongent encore : nous partageons quelque chose qui n’existe pas ailleurs. Je me souviens d’un jour où je m’étais demandé ce qu’il pourrait advenir de nous : je n’y croyais pas trop. Je n’imaginais pas, quoi qu’il en soit, que dix ou douze ans plus tard nous serions encore là, ainsi près l’un de l’autre, dans une intimité rare.
Ainsi, au bord de la rivière, dans cet horizon vert et rafraichissant, nos histoires attendent une oreille, des mots, une piste ou une confirmation. Je ne suis pas sûr, pour ma part, d’attendre des réponses. J’ai l’impression, mais j’ai peut-être tort, que je les ai déjà. Mais l’eau y est parfaite, et le courant léger.
Vendredi 27 août 2021
Il n’y aura pas ce paysage de montagnes que tu m’avais fait découvrir l’an passé, dans ton pays à toi, et que, d’incompréhensions en hésitations, je n’aurai pas revu cette année, mais il y a là d’autres images jusqu’alors inconnues, moins élevées, moins escarpées, et la surprise d’être ici ensemble, par le hasard des routes et des vacances. Pour le dîner, la vue sur l’autre rive d’une Dordogne paisible et fraîche ; c’est ce que nous voulions. Être ensemble aussi, un court moment, joli, ailleurs.
Il n’y aura pas d’image non plus.
Jeudi 26 août 2021
Aller, matin : homme probablement soûl, vaguement endormi, penché, oui très penché à se demander comment il tient assis, cheveux gras. Lorsqu’il se réveille il roule une cigarette, difficilement c’est-à-dire lentement. A sa gauche, collée contre la vitre, une femme. Nous n’échangeons pas de regard avec elle, ils en diraient déjà trop.
Retour : femme qui répète en boucle après être montée à l’arrêt du CHU, le téléphone collé à l’oreille, regardant fixement vers l’avant du tram, ses échanges avec sa mère, hospitalisée. Elle dit les pleurs, etc. J’essaye de lire mais je ne peux : sa voix est claire et forte, son articulation précise. Ce qu’elle dit est à la fois triste, insupportable et terriblement banal puisque tout ça emporte tout le monde un jour ou l’autre.
Les deux moments, aller et retour, se rejoignent dans ce qu’ils ont de quotidien et d’inévitable. Je ne sais comment à la fois m’en détacher et compatir.
Mercredi 25 août 2021
Mardi 24 août 2021
Alors tu regardes ce que je regarde au loin ; sur ton genou écorché, il y a des souvenirs récents qui s’effaceront bientôt mais parfois tu grimaces encore. L’homme, installé là-bas peut-être pour la nuit et d’autres qui suivront, est déjà passé nous demander une pièce que je lui ai tendue. Son accent hispanique nous a laissés figés, figés et égoïstes, n’attendait-il donc pas qu’on lui parlât un peu ? Plus tard il reviendra. Non, nous ne fumons pas.
Lundi 23 août 2021
Je ne sais pas ce que tu quittes de moi en partant ainsi ; je ne sais pas exactement qui j’aurais été, sinon une présence régulière pour t’écouter rire, te lire un peu parfois, et puis te regarder, bien sûr, figé et magnifique, sans sourire, là, Ne bouge plus. Qui serai-je demain ?
Je ne sais pas encore ce que tu me laisses, sinon tant d’images de toi, et tant d’autres aujourd’hui, dans le soleil couchant ou dans la dureté de cette petite lumière frappant ces vêtements blancs.
Dimanche 22 août 2022
Samedi 21 août 2021
Vendredi 20 août 2021
Jeudi 19 août 2021
Il y a ce moment, sur la route, où l’usine baignée par le soleil de 18h a cette teinte dorée qui m’échappe et s’éloigne. L’usine, combien de fois sommes-nous passés devant depuis l’été 2008, sur cette route entre Boé et Lectoure ? Combien de fois me suis-je dit qu’un jour elle serait là, dans ce journal ? Pas cette fois, pas encore.
L’après-midi avait en effet été portée par les images de l’été photographique de Lectoure, de l’admirable exposition Azimut du collectif Tendance Floue, jusqu’à la joliesse de deux corps d’enfants plongés dans l’eau captés par Julien Coquentin, et puis entre les deux, des propositions que j’ai trouvées plus ou moins généreuses, plus ou moins douces, plus ou moins intéressantes, des moments de poésie qu’il faut réussir à attraper comme leur auteur aimerait qu’on les attrape mais je n’y suis pas parvenu. Je crois qu’il y a, dans toute cette photographie qui frôle avec le trop peu et une forme de sensibilité vaporeuse, quelque chose qui de plus en plus m’échappe – ou plutôt est-ce moi qui veux m’en échapper. Mais il y a eu aussi – surtout ! – le nom de François Méchain, avec ce quelque chose chez lui qui creuse, qui creuse surtout en moi sans savoir expliquer ni où ni pourquoi, notamment parce qu’un festival ne donne pas beaucoup le temps, on ne peut pas être là et rester, il faut passer à la suite et digérer encore ce qu’il y avait derrière, voire même perdre son temps à sniffer des colliers planqués sous des visons.
Mercredi 18 août 2021
Mardi 17 juillet 2021
Je ne sais pas si tu me crois lorsque je dis que j’aime ce livre que tu m’as offert : il y a quelque chose en moi qui n’arrive pas à exprimer le plaisir. En écrivant ces lignes, je me demande si c’est la langue anglaise qui me freine ; il m’y manquerait un ton, un sourire, une familiarité. C’est au moment de partir, nous avons déjeuné, que je t’en parle.
Lundi 16 août 2021
Les jours écrits ne creusent pas toujours au bon endroit, pas toujours comme il faut. Parfois ils ne regardent pas plus loin que les heures qui leur sont attribuées. Ainsi, hier ils ont exprimé un état – un état d’esprit, un état tout court – de manière un peu abrupte, inélégante, voire erronée. J’ai effacé la phrase, ajouté une image, deux jambes caressées du regard dans un après-midi ensoleillé.
Toi, je ne t’ai pas encore photographié. On n’y pense pas vraiment. N’oses-tu pas me le rappeler ? On l’évoque, parfois. Tu souris, souvent. Il y a pourtant ce portrait de toi, éclatant, qui s’ajoutera, un jour, à cette galerie, à ces visages croisés à Paris, visages patients. Regarde-moi, je leur disais un peu, Ne souris pas.
Dimanche 15 août 2021
Je quitte Paris avec, depuis Ivry jusqu’à la sortie du périph, ce qui semble être Miles Davis dans l’auto-radio. La musique convient au moment, j’ai l’impression d’être dans un film ; j’aurais néanmoins aimé descendre du Uber juste à la fin du morceau et du plan séquence, ç’aurait eu du style, il y aurait eu un plan sur mon visage, j’aurais eu l’air fermé, mais le spectateur n’aurait pas été tout à fait sûr que j’étais triste de partir. Je pense à Jeanne Moreau. Mais à travers la vitre, Paris est en couleur, il fait jour, il fait beau.
Je ne compte plus les fois où j’ai quitté Paris. C’est peut-être la plus étrange. Cette fois, il y a comme un goût d’inabouti. Personne ne m’y attend, personne ne m’y projette, comme il y a deux ans et un jour et que c’était joli malgré ce que c’est devenu. Il n’y a pas eu de paysages, sauf ces vues depuis les étages, sauf ces paysages-corps cherchés avec les yeux ; il avait les pieds sales et les ongles aussi.
Samedi 14 août 2021
Au hasard d’un vol modifié, il y a soudain Dublin qui s’efface, et ce que tu me dis qui m’efface aussi. Je ne sais pas ce que j’attendais de nous, mais pas tout à fait cela, pas tout à fait ainsi. Je ne sais pas ce que j’attendais de cette ville, mais je sais que j’en voulais pas vraiment, alors j’annule, je veux de l’air, de l’herbe, être assis, attendre, peut-être ne rien voir de nouveau, ne pas m’épuiser surtout.