T’attendre, t’entendre, tendre. Vers quoi ?
Vendredi 13 septembre 2019
Jeudi 12 septembre 2019
Alors nous trois, ici, réunis. En face de moi, elle vous avait accompagnés au cinéma ; j’avais quant à moi décliné l’invitation, passé mon tour, un peu travaillé pour rattraper le retard. Je n’avais pas non plus voulu revivre cela : nous n’allons plus au cinéma ensemble, nous ne partageons plus ce qui a peut-être forgé un des rythmes de notre histoire. Je n’avais pas non plus voulu cette forme d’intimité que crée la salle plongée dans le noir et cette proximité.
Et le vin arrive, plop, qui goûte ?, moi. Immédiatement, sous une volupté surprenante, mon sourire. Alors le sien.
Mercredi 11 septembre 2019
Ses mains. Des mains fripées, déjà, les doigts un peu enflés, la peau sèche et rougie, les ongles ourlés de noir. De la gauche il tient sa tasse tandis que la droite dessine des cercles sur le zinc. Il me demande ce que je fais dans la vie, me pose la question avec une insolence spontanée et joyeuse qui ressemble à sa jeunesse. Je ne réponds pas.
::: Michèle Lesbre ; Un lac immense et blanc
Mardi 10 septembre 2019
Se retourner. S’exclamer, surpris.
Dimanche 8 septembre 2019
Je te raconte alors ce souvenir, sûrement brouillé, re-colorisé, re-scénarisé, que je situe en 1982 plutôt qu’en 1984, sûrement à tort : ma sœur et notre cousine m’entraînant dans un club sombre, éclairé de spots multicolores, musique forte, lignes de basse, une jeunesse punk adossée sur un mur. Effrayé par cette adolescence qui avait empoigné une movida dont j’ignorais l’histoire, les coupes de cheveux et l’existence, j’avais pleuré. De retour chez Carmen, sûrement n’avais-je rien dit, les yeux séchés. Peut-être avais-je soudain grandi, peut-être avais-je eu peur de dire cette jeunesse dans laquelle je ne m’imaginais pas mettre les pieds. D’autres fois je pleurerai d’effroi, de peine, d’amour ou de joie. Hier de peu, ce garçon dansant sur Mozart, si beau.
Samedi 7 septembre 2019
S’endormir ainsi, après qu’on aura donné à notre duo une forme plus étendue que celle que nous avions formé jusqu’alors et que nous formions hier en partant pour Arles. L’amitié n’a pas à sa portée les preuves que la relation amoureuse peut donner, mais elle en partage la douce aptitude à vivre ensemble le temps et les silences. L’amitié n’a pas à supporter les épreuves que la relation amoureuse doit traverser, ainsi partageons-nous des rires et des alcools, des regards et des rêves.
S’endormir ainsi, moins vite qu’hier, tant d’images en tête, qu’on aimerait ne pas oublier. Tant d’images ! Qu’en dire ? Peut-être alors, folie, ne garder qu’un nom, et écrire ici celui de Tina Bara.
Être à Arles pour la première fois, quand on a derrière soi dix ans dans lesquels la photographie s’est profondément incrustée, cela semble presque absurde. Mais ailleurs et autrement je me nourris d’images. Ailleurs, de Lectoure à Paris. Autrement, par moi-même, m’éraflant contre la quête qu’elle impose chez moi.
Vendredi 6 septembre 2019
Ainsi les paysages sont-ils inédits, comme autant de visages qu’on aimerait photographier dans une lumière qui fuit le jour. La destination l’est peut-être aussi. J’ai oublié ce détail de ma période qu’on dira nîmoise, et les archives de ce journal n’en propose pas de trace. Tout aura disparu : rien n’a peut-être voulu exister.
Jeudi 5 septembre 2019
Enfin les voici, dans les quinze minutes de retard nonchalantes de leur jeunesse. Tout de suite, il me demande « Vous habitez dans le coin ? ». « – Oui, par là-bas, mais tu peux me tutoyer. »
Il ne me tutoiera pas. Pas cette fois, peut-être jamais. Nous nous installons à cette terrasse où, deux jours plus tôt, on m’aurait déjà aperçu avec quelqu’un de dos. L’échange est inédit, et les digressions nous amènent par exemple à mes 26 ans et à son arrière-grand-père dont elle ne sait rien. La dernière fois que nous étions ainsi, déjà seuls, puisque la présence de R ne m’empêche pas de dire « seuls » de ce moment oncle-nièce sans l’entourage familial habituel, je l’avais accompagnée en train vers Paris, c’était une petite fille. Déjà, sans doute, avait-elle cette espièglerie, qui aujourd’hui lui donne de l’audace. Pourtant je la rassure.
Mercredi 4 septembre 2019
Mardi 3 septembre 2019
Tram. Elle est juste là, à ma droite. Elle parle trop fort, trop près, alternant entre le français et ce qui semble être du portugais, ça chante et chuinte. Le tram aussi dans les virages : chhhh.
Je change donc de place, m’assieds en face d’elle, bientôt mon regard, entre agacé et vide, croisera le sien. Je n’arrive pas à lire, ou si peu, elle me dérange et puis de toute façon je pense à l’écriture puisque A. Dreyfus prend des détours et des aisances qui rejoignent étonnamment quelques paragraphes rédigés récemment.
Je m’installe de travers, le dos appuyé sur la vitre : je peux croiser les jambes. Je suis donc à présent face à lui, autre passager parti on ne sait où, et j’observe son bras tatoué : demi-tranche de citron, très grosse tête de crustacé, oignon rouge, tête d’ail, feuille de chou, le tout agrémenté de volutes blanches laissant supposer que le plat et chaud, ainsi en mangerait-on.
Et l’autre ? Elle cause encore.
Lundi 2 septembre 2019
Me figurer mon incapacité à rendre compte de la densité du temps. Je ne sais pas étirer les lieux, les personnages, les moments. J’écris une succession d’images qui ensemble s’animent, comme au cinéma, mais pas comment en littérature.
::: Arthur Dreyfus ; Histoire de ma sexualité
Ainsi E rejoint cet espace que j’ai abordé il y a déjà plusieurs semaines. Bientôt pour lui aussi les actes officiels seront annotés, gravant dans la nuit des temps une étape, un état. A la terrasse d’un bar choisi pour le soleil couchant susceptible de réchauffer la cuisse trop peu couverte de J dont le rapport aux températures oscille tellement qu’on y malaxe presque de l’oxymore, je retrouve ceux qu’on retrouve encore et encore et qu’on nommerait « bande de potes », « groupe des quatre » ou « les JEJA » si des insectes malfamés et voraces n’envahissaient pas mon appartement en quête d’un petit cachemire bien sirupeux au point d’avoir dénommé le groupe « Mite’s friends », groupe de quatre à géométrie néanmoins variable puisque voici ce soir un A auquel un jour on accola un trio de consonnes pour ne pas le confondre avec moi, groupe qui donc allait trinquer, tout Spritz dehors, à cette pichenette administrative. Cloc ! (Oui les verres étaient en plastique)
Dimanche 1er septembre 2019
Je le reconnais sans trouver qu’il ressemble vraiment à lui-même. Pense-t-il la même chose de moi ? Il salue JLD, qui m’expliquera vaguement les contours de leur relation circonscrite, si j’ai bien retenu, à un autrefois à peine amical (« C’était un ami de X »). Quelques mots, pas le temps, lui ici, nous vers là-bas. Bientôt.
Samedi 31 août 2019
On rirait alors, comme des ados. À les voir, comme des ados.
Vendredi 30 août 2019
Il y a, dès le début, quelque chose qui grince, parce qu’il ne veut pas être en bas, puis parce qu’il ne veut pas être au milieu de la salle. Je grince moi aussi, ne me reconnais pas trop dans cette fermeté qui décide, mais nous voilà assis. La conversation tourne beaucoup autour de lui, ce qui ne me gêne pas nécessairement : j’écoute et je creuse cette jeunesse qui veut beaucoup, cette arrogance qui s’étonne de sa situation, cette certitude qui oublie comment ce pays l’accueille, cette crainte de ne pas plaire et donc cette obsession d’avoir un corps qu’il qualifierait de parfait ou qui lui offrirait soi-disant un poste à la hauteur et – comment ne pas le lui souhaiter ? – ceux qu’il désire. Peut-être s’aime-t-il trop peu. Ici ou là je rétorque, mais je pointe également cette langue française qu’il maîtrise. On attendra un extérieur détendu pour atteindre une autre rive dans la conversation, celle de la religion, ou d’une version édulcorée portée autour du cou et dans quelques valeurs.
Jeudi 29 août 2019
J’aime l’idée d’écrire qu’il revient d’on ne sait où, qu’on ne sait pas non plus quand il était apparu. L’essentiel est, de toute façon, le fait qu’il soit là, soudain, surpris par quelques images et alors m’écrivant.
Ainsi il revient, mais toujours là-bas, dans ce pays qui aurait pu voir naître un autre moi-même, sous le soleil qui chante hiiii. Il porte ce prénom que peut-être j’aurais porté alors puisque celui du grand-père. Surtout a-t’il des yeux que je n’aurais pas eu, peut-être ceux, revolver, qu’on chanta quand on avait onze ans et qu’on ne savait pas encore que, plutôt que que vous tirer dessus, ils pouvaient s’infiltrer, poisons. Ou philtres d’amour ?
Mercredi 28 août 2019
Trop de vin déjà bu, dit-il. Il vient de l’autre côté de l’océan, c’est un mariage qui l’a amené ici, en France, demain il repartira pour la noce, quelque part, il n’est pas très sûr du nom, bien français, il prononce, une cédille au milieu de tout ça. Profession ? Architecte, enfin c’est-à-dire scénographe, il précise, dans un musée. Un petit musée ? Non, on peut difficilement faire plus gros, sourit-il un peu gêné. Alors on reste sur l’architecture, je parle des ailleurs, là-bas, je dis la ville, pas le temps de dire la maison. Celle avec les petits jardins ?, s’éblouit-il.
Mardi 27 août 2019
Lundi 26 août 2019
Reprendre. Le travail, réellement, malgré les quelques échanges la semaine dernière, et donc faire le trajet, se présenter à l’agent d’accueil temporaire d’un bâtiment où elle n’aura vu passer que quelques âmes perdues voire accablées par le vide, le travail et les photos de piscine sur Instagram, ouvrir le bureau, tirer les rideaux, grommeler devant le photocopieur resté allumé, s’asseoir, aimer le silence malgré tout.
Dimanche 25 août 2019
Alors bien sûr il met le disque.
Samedi 24 août 2019
Vendredi 23 août 2019
Jeudi 22 août 2019
Mercredi 21 août 2019
Mardi 20 août 2019
Lundi 19 août 2019
Dimanche 18 août 2019
Samedi 17 août 2019
Vendredi 16 août 2019
Jeudi 15 août 2019
Il y a des maisons qui vous habitent. La maison du Japon, – ne l’avais-je point exprimé un jour ici ? -, m’avais habité. Elle était en moi autant que je vivais en elle. Cela venait surtout de la relation avec l’extérieur, cette possibilité de sortir sans s’extraire du périmètre de l’habitat. Sortir sans sortir. Être dedans et dehors en même temps. Elle s’accordait au bonheur de vouloir être et d’aimer être en deux lieux en même temps.
L’appartement du Liégat où j’ai passé trois semaines avait commencé à m’habiter dès le premier jour je crois. Il s’est immédiatement passé quelque chose. Je pense que cela venait là aussi de la relation à l’extérieur, les terrasses, ce regard porté sur ce qu’il y a au-delà des fenêtres et de leur petite folie géométrique, regard conjugué à cette possibilité de sortir sans s’extraire du périmètre de l’habitat. Sortir sans sortir, oh bien sûr pas de manière aussi douce qu’à Nishinoyama House, ici il faut descendre ou franchir.
Alors j’ai filmé. Pas l’appartement. Mais les vues. J’ai filmé la générosité de la maison : tout ce qu’elle offre à voir de ce qu’elle n’est pas.
Mercredi 14 août 2019
Nous sommes ensemble à cette terrasse, l’après-midi s’étire à ce coin de rue à peine brusqué par mes va-et-vient et le camion poubelle. Nous sommes ensemble dans ce qui ressemble à un au revoir qui se prolonge ; ce matin déjà nous nous étions étreints sur le pas de la porte ; lundi déjà je t’avais dit que tu allais me manquer. Nous nous donnons à voir, à imaginer, ce qu’il y a de l’autre côté des portes du lieu où nous sommes deux, de l’autre côté des fenêtres par lesquelles nous regardons, ainsi ouvertes. Nous apercevons ce que l’autre nous esquisse, souriants, poursuivant ainsi dans quelques détails furtifs, hop, ce que nous nous sommes déjà dit. Nous donnons aussi aux mois qui viennent quelques cailloux, que tu aimerais encore semer, je prévois octobre, tu parles de décembre, tu t’imagines restant au lit tandis que je partirais travailler, bienheureux de paresser dans mon lit et dans l’équilibre confortable de ma présence-absence. Et nous nous effleurons bien sûr, comme nous effleurons les mots qui nous décriraient, mais ce que nous disons restera plus important que ce que nous nous disons pas.
À cette terrasse parisienne nous poursuivons ce que nous sommes, dans la multiplicité des formes possibles, c’est-à-dire face à la réalité des semaines qui viennent, sans nous, sans nous ainsi, tels que nous l’avons été durant ces trois semaines que j’ai presque tues. Les mots d’un journal sont comme un léger épuisement du réel, et mon réel avait besoin de ne plus être dit, pour laisser la place à nous, que l’on soit ensemble, que je sois parti voir les nuages sur l’océan ou que tu aies préféré être en ce lieu qu’on nomme chez toi. Ne plus être dit non plus pour laisser la place à d’autres mots qui enfin ont repris vie, petitement, difficilement, dans toute la peine qu’est parfois l’écriture, après avoir reçu de Paris et de ses frontières ce que j’aime en recevoir et ce que je n’avais jamais reçu, là chez Renée, dans l’espace, la végétation et la lumière du Liégat ; même j’y ai aimé la pluie.
Mardi 13 août 2019
On entourait d’une particulière déférence celui ou celle qui était « resté à écrire » et on lui disait : « Vous avez fait votre petite correspondance » avec un sourire où il y avait du respect, du mystère, de la paillardise et des ménagements, comme si cette « petite correspondance » avait été à la fois un secret d’état, une prérogative, une bonne fortune et une indisposition. Quelques-uns, sans plus attendre, s’asseyaient d’avance à table, à leur place. Cela, c’était la désolation, car ce serait d’un mauvais exemple pour les autres arrivants, aller faire croire qu’il était déjà midi, et prononcer trop tôt à mes parents la parole fatale : « Allons, ferme ton livre, on va déjeuner. »
::: Marcel Proust ; Sur la lecture.
Lundi 12 août 2019
Dimanche 11 août 2019
Le grand-père fabrique des billards à Saint-Étienne. Il sait l’ennui des campagnes alentour, hors les jours de kermesse et de batteuse; les salles d’auberge où l’on fait durer les histoires de chasse et les verres de gnole, et combien les pièces ont du mal à quitter les bourses de cuir. Bien que menuisier, il n’a pas le goût des fenêtres ou des placards à rafistoler, et trouve plus flatteur de visser sa raison sociale sur des billards à quatre ou six pattes joliment tournées dans le chêne, sans fioritures ni marqueterie mais roulants et taillés pour traverser les siècles: Billards Ferdière, Saint-Étienne.
::: Emmanuel Venet ; Ferdière, psychiatre d’Antonin Artaud
Samedi 10 août 2019
Vendredi 9 août 2019
Jeudi 8 août 2019
Mercredi 7 août 2019
L’un fut nommé là par la Compagnie des Postes, arbitrairement ou selon ses vœux ; l’autre y vint parce qu’il avait lu des livres ; parce que c’était le Sud où il croyait que l’argent était moins rare, les femmes plus clémentes et les cieux excessifs, japonais. Parce qu’il fuyait. Des hasards les jettèrent dans la ville d’Arles, en 1888. Ces deux hommes si dissemblables se plurent ; en tout cas l’apparence de l’un, l’aîné, plut assez à l’autre pour qu’il la peignît quatre ou cinq fois.
::: Pierre Michon ; Vie de Joseph Roulin
Mardi 6 août 2019
Lundi 5 août 2019
Dimanche 4 août 2019
Samedi 3 août 2019
Vendredi 2 août 2019
Attendre. Des heures. Des heures. Voir ce que ce qu’on fait de ceux qui attendent. Des mois. Des mois.
Jeudi 1er août 2019
Avant de les brûler pour allumer le feu, Yvonne déchiffrait par bribes les vieux romans-photos abandonnés par Germaine. Ces histoires n’entraient pas en elles ; quelques mots, cependant, lui étaient restés. Elle avait un amoureux, elle aussi, comme les filles qui sentaient bon et secouaient leurs cheveux brillants, le mardi et le vendredi, quand le camion du charcutier s’arrêtait sur la plce, devant chez le garagite ; les gommes étaient là, en combinaison bleue, les manches roulées au coude, sur des avant-bras durs, marbrés de cambouis, les mains grosses et rouges, épaisses, avide de saisir, de palper, de tâter.
::: Marie-Hélène Lafon ; Alphonse (in Histoires)
Mercredi 31 juillet 2019
Mardi 30 juillet 2019
Il y a le souffle du vent. Il pleut là-bas, sur Deauville. Soudain tout s’accélère, ça s’abat, les serveurs se précipitent ; on l’avait pourtant vu venir.
Sur la plage, j’avais marché. J’avais senti quelque chose comme l’ennui, peut-être que cela venait des nuages, ou des parasols, alignés, fermés, autour je tournais, parfois le soleil frappait sur les couleurs, un rien de temps avant qu’un nuage ne ternisse les toiles. Les parasols étaient ficelés, là, debout, comme des gens, c’était comme des gens qui s’entortillent pour se changer dans la pudeur d’une serviette vrillée qui peut retomber. J’avais pourtant dit Je ne vais pas rester. J’avais peut-être oublié qu’il fallait du temps, quelques heures, pour trouver sa place, lâcher prise, aimer regarder les gens et oublier les parasols. Je m’étais assis sur le banc qui portait le nom de Marguerite Duras, j’avais lu ce qu’elle disait de la solitude.
Et donc nous voilà abrités. Là elles veulent un dessert, parce que c’est les vacances. Derrière ils ont peut-être déjà un peu bu. Là-bas il n’écrit plus, sa copine l’a rejoint, ils sont jolis. A ma droite elles reprennent un café et tout cela se calme : d’une éclaircie elles partent profiter.
Lundi 29 juillet 2019
Dimanche 28 juillet 2019
Samedi 27 juillet 2019
Vendredi 26 juillet 2019
Jeudi 25 juillet 2019
Tous les souvenirs enfin s’effacent. Et puis restent les rêves. Alors, il sont seuls désormais, c’est à eux que l’on confie le souci de sa vie.
::: Philippe Forest ; Sarinagara
Je ne suis qu’un prénom qui lui dit quelque chose ; sans doute une politesse venant d’une mémoire tant effacée. Mon visage n’est presque plus rien non plus, puisque que je suis qu’une surface, à travers ses yeux qui n’aperçoivent qu’à peine ombres et formes. Dans ce lieu qui est le sien, totalement le sien, né de son esprit et de sa main, je l’accompagne dans des allers-retours calmes là où elle demande d’aller. Je lui prends la main, le bras, et puis elle revient s’asseoir dans son fauteuil, recouvert d’un tissu fleuri, vif. Elle sait que sur le chemin il y a cette étagère.
Mercredi 24 juillet 2019
Changer d’air sans en changer vraiment. Revenir à celui qu’on a respiré. Presque. Il suffisait de traverser la rue, de passer la place, se perdre un peu peut-être. Se retrouver alors au milieu de la mémoire du lieu et de sa fratrie de béton et d’espaces, mémoire architecturale alignée en dossiers comme autant de façades, à supposer que l’on puisse parler de façades entre les angles et les jardins.
Mardi 23 juillet 2019
Accablantes.
Lundi 22 juillet 2019
Nous avons plié nappes et bagages, avons laissé sur l’herbe les alcools champagnisés qui avaient chaviré, quelques miettes peut-être, les regrets des oiseaux et le reflet d’une monture de lunettes. Le départ se traîne, les embrassades s’esclaffent, le 8 n’a toujours pas fait pfhuit mais soudain la revoici qui passe. Sans nous voir. Combien de longues minutes plus tôt est-elle partie ? Grisés nous ne savons plus. Rieurs nous nous en amusons. Elle m’a dit tout à l’heure qu’elle venait pour le style. Mais elle m’offre une chute.
Dimanche 21 juillet 2019
On glisserait aisément des rayonnages d’hier où j’avais attrapé un recueil de nouvelles de Marie-Hélène Lafon, à l’après-midi d’aujourd’hui car c’est peut-être pendant que nous séchions qu’elle est apparue dans la conversation, même si son apparition – bien qu’allongée par cette quête du nom oublié de l’ouvrage – fut assez brève.
S avait déjà évoqué le terroir de son écriture, avant le rendez-vous manqué d’une fin d’après-midi, la fin du 13 juin exactement. J’avais alors noté l’événement d’une simple croix, m’interrogeant les jours précédents sur ce qui pouvait bien se cacher derrière cette croix, et m’interrogeant toujours aujourd’hui : pourquoi ?
Bref : c’est peut-être pendant que nous séchions, disais-je. On notera l’hésitation même si j’ai retenu la position assise alors expliquons-nous, précisons que le moment avec S, dont le point de départ était une proposition d’exposition, s’est en effet allongé, embrassant une belle partie de ce dimanche entre un café, une marche sans doute trop longue durant laquelle la statue de la liberté mériterait sa place à la fin du pèlerinage, la beauté des images de Harry Gruyaert, un triptyque plus tique que tripes, une baignade à 22 degrés, une bière sur un quai enfin rafraichi et un dîner tel qu’on les envisage sous de telles températures ; même le vin était léger.
Samedi 20 juillet 2019
Dans la librairie, avant un cône surmontée de crème glacée chocolat intense et de sorbet au yuzu – et c’est malheureusement la première qui gouta sur mes lacets blancs – me voici en quête d’ouvrages qui raviraient l’esprit critique de E*. Aux trois sélectionnés pour des raisons diverses et variées mais avec toujours l’idée de combler l’appétit et la curiosité de E, j’ajoute Annie Ernaux (c’est-à-dire Annie E) et cette Place qu’encore j’ai envie de (re)lire, surtout si l’on doit en parler après qu’il l’aura parcouru, puisque toujours j’oublie, ne gardant en mémoire que quelques sensations nées pendant ou après toute lecture.
Il est donc question des livres. On aura peut-être noté dans ce journal une certaine absence, la leur, dont l’italique s’est estompée. Dans la librairie, donc, aussi quêté-je de quoi italiquer. J’hésite car je ne sais pas ce dont j’ai le plus besoin / le plus envie, pour compléter ce qui attend déjà dans la valise et qui devrait, je l’espère, d’une part revigorer les écritures en suspens et d’autre part accompagner la plage de Trouville (donc Duras) et je ne sais quelle terrasse parisienne (donc Michon). J’hésite mais je parviens.
* Pourquoi pas « d’E » ?
Vendredi 19 juillet 2019
Jeudi 18 juillet 2019
Ne rien dire, comme si de rien n’était. Voilà peut-être ce qui nous résume. Durant une heure trente, attablés, après avoir mis fin à ce que nous avons été, la discussion est allée là où elle toujours allée, sans fracas, hors de cet intervalle, hors de cette faille. Je ne sais pas si cela m’attriste ou m’apaise.
Mais c’est surtout là, dans cette faille, dans un sens géologique figuré ou en tant qu’intervalle fragile, que nous n’avons pas pu.
De tout ce qu’il y a à dire de ce jour, je choisis ces six lignes, à supposer que ce soit un choix dans l’exercice de l’écriture et de comment elle nait. De tout ce qu’on pourrait raconter de nous, il reste les petits cailloux posés ici depuis le 15 mars 2009, et cette photo où l’on t’apercevait avant que les premières années ne disparaissent d’ici. Où l’on t’apercevait, flou parce qu’en mouvement.
Mercredi 17 juillet 2019
Tu ouvres la boîte en carton et me fais entrer dans ton passé. J’y vois ceux dont je ne retiens pas les noms et leurs visages souriants qu’ils partagent soudain avec tes parents. J’y vois ce dont tu m’avais parlé et que j’avais doucement rapporté ici, dans l’approximation qu’offrent ma mémoire et l’écriture, parce que le mouvement de ta main avait été d’une joliesse que je ne voulais pas oublier.














































