Dimanche 17 juin 2018

Alors l’épisode du jour s’appellerait “Rodin et le portillon” et l’on s’amuserait de ton audacieuse insouciance autant qu’on chercherait les mots devant les corps.

Vendredi 15 juin 2018

Je ne suis pas sûr qu’il se souvienne parfaitement de moi. Je lui dis que ça fait longtemps via ce o-hisashiburi qui laisse entrevoir le temps qui vient de passer, la distance qui s’est imposée, la nostalgie d’un autrefois encore présent, le plaisir de le revoir. Quelques visages d’avant sont là, et bien sûr on parle du pays, du dépays, d’avril, de ce qu’il adviendra peut-être, y retourner. On parle de peu, d’être là, à peine, pas longtemps : Schumann m’attend.

Jeudi 14 juin 2018

Tramway. Il dit que ça sent mauvais. La suite précise le sens figuré. Elle semble le soutenir mais je n’écoute pas vraiment leur conversation, j’ai l’esprit ailleurs, je regarde surtout la dentition de la femme, les couleurs de son tee-shirt enveloppant son corps gros. Mais la phrase revient, ça sent mauvais, et je n’entends que ça. Comme si mon cerveau m’alertait : c’est peut-être moi qui sens mauvais.
Je mets mes écouteurs, leçon de japonais 64. Jusqu’à ce que je l’entende, elle, elle lui dit qu’elle pense que ça ne va pas durer, entre eux. Elle le sent. Que ça ne durera pas. Qu’il doit régler ses problèmes, en parler à son psy. Que ça l’embêtera, s’il la quitte, mais qu’elle ne lui en voudra pas.

Train. Il écrit. Son écriture est dure à déchiffrer de ma place ; nous sommes pourtant juste voisins de siège. En fait il recopie ce qu’il a écrit auparavant sur d’autres feuilles. Plongé dans mon roman/Romand, je tente de ne pas m’intéresser à lui, mais évidemment il m’intrigue. Il n’a pas d’âge. Peut-être 18, pas moins. L’âge où on écrit encore ?
Je repose le livre, prends mon téléphone, me dis que je devrais dormir un peu. Je déchiffre la signature puisqu’il est arrivé à la fin : Un homme heureux. Puis ce qui précède : je t’aime plus que tout.

Mercredi 13 juin 2018

J’aurais adoré être chanteur. Je me suis récemment mis au piano. Je prends des cours et peux m’accompagner par coeur sur Je suis malade. Je l’ai chanté à ma mère lors de son dernier séjour chez moi. À la fin de ma prestation, après un silence de quelques secondes, elle a levé la tête du dernier catalogue Leroy-Merlin et m’a demandé : “Tes voisins ne rouspètent pas ?”

Eric Romand ; Mon père, ma mère et Sheila

Dimanche 10 juin 2018

De souvenirs. Les bois, en bas, en sont gorgés. D’eau aussi.
De moustiques. Les bois, en bas, en sont infestés. Qu’est-ce ceci ?
J’ai de nombreuses images conservées, en tête, de toutes ces fois où je suis descendu. Pour ramasser des fleurs. Pour espérer un animal. Pour chercher des champignons, comme nous, aujourd’hui. Pour m’aventurer, oh jamais très loin, on atteint vite la limite, la route. Pour être à chaque fois surpris. Pour voir. Pour être ailleurs, avec moi-même, sans comprendre alors ce besoin de m’accompagner. J’y chantais, parfois. J’aimais surtout aller là-bas, cette clairière où, la saison venue, les nappes de clochettes bleuissaient l’atmosphère. J’aimais bien sûr ne pas aller si loin : les carrières étaient autant une légende qu’une réalité difficile à atteindre. J’y rêvais, parfois.

Mercredi 6 juin 2018

Les bières de la veille, après le spectacle, n’avaient pas tout dévoilé. J’accompagne alors, pour la soirée, sa solitude de touriste sans clé, son amour des idiomes, la candeur de ses trente ans, son accent espagnol qui vous embarque, ses yeux clairs qui vous transpercent, ses doutes sur sa relation amoureuse actuelle puisque l’autre est trop là malgré tant d’heures entre Montpellier et Majorque. L’autre. Celui dont je suis l’autre est aussi ailleurs, à des milliers de kilomètres. Tant.
A 21h38, je fais trois photos de lui. La première est loupée : mauvais focus. La deuxième n’est pas bonne : moue. La troisième est la bonne : sourire. Tant.

Mardi 5 juin 2018

Nicolas m’avait proposé un cinéma par une formule concise et décalée ; j’avais souri et répondu en faisant celui qui ne comprenais pas. L’amitié est comme l’amour, elle se construit par des pièges, des perches, des peut-être, des frontières à franchir, des contours à dessiner, des ponts à emprunter.
Il m’avait finalement proposé autre chose, un spectacle d’improvisation, dans un petit théâtre, « tu sais, en bas de chez moi. » Il ne m’avait prévenu d’une présence. De mes rires non plus.

Lundi 4 juin 2018

Il y a des rencontres surprenantes qui naissent par hasard, d’une passion commune, d’écrans connectés et d’un voisinage, parce que malgré tout on est un peu fainéant. Alors nous y voilà, rue St François, entre l’Asie et l’Amérique, entre mes images dont je parle et son film sur Arthur Tress qu’il me montre, entre les mots que j’essaye d’écrire et le titre de son roman qui me fait éclater de rire.

Mériadeck

Jeudi 31 mai 2018

Il est question de la liste des visages qui viennent nous réveiller chaque matin supplémentaire. Bien sûr, les meilleurs matins arrivent parfois l’après-midi.

Stéphane Bouquet ; 4ème de couverture de Les Amours suivants
(Parce que je n’ai pas osé tronquer un poème)

Mercredi 30 mai 2018

Quarante-quatre.

Un jour comme un autre ? Oui. Un jour comme un autre, la vie extra-professionnelle à Ivry, associative rue des Périchaux, le déjeuner annulé avec, par conséquent, entre lui et moi encore quelques semaines sans se connaître, on n’est plus à ça près, cela fait des années que ça dure, c’est même peut-être mieux ainsi, il devient personnage, les chapitres s’étoffent. Alors le déjeuner est nourri de falafels et d’un reste de glace dans le freezer, et bien qu’ainsi rafraichi me voilà un peu en sueur sur le chemin furtif du Bal, la vie donc ensuite culturelle par accumulation d’objets, amicale aussi et elle commande un diabolo-menthe.

Un jour, celui des quarante-quatre ans, qui pourrait être celui où on aborde en souriant la question du désir, des corps, du frôlement, du regard, des silhouettes, des odeurs, des sensations provenant d’une guitare aussi, des mains qui appuient, des sensations et des émotions qui adviennent. J’ai attendu cette journée, j’ai attendu cette compagnie d’un autre hémisphère, pour éprouver cela, ce truc devant cette homme qui danse sur du flamenco, avec autour de moi, l’hispanisme criant et exaltant de quelques spectateurs. Et le mien, que tu interroges alors, que j’interroge alors, avant quelques frites.

Mardi 29 mai 2018

C’est juste là, juste là-bas, en autobus, quoi, 20 minutes ? C’est une maison, ordinaire, vous savez, oh ce genre, la banlieue quoi, les garde-corps rocaille peints dans un vert presque acide. Il a dû nous voir arriver, il devait nous attendre tu avais dit midi, il est treize heures, ce n’était pas très clair, les heures d’ouverture, tout ça, le site web, rien de ça. C’est alors un ailleurs, guidé par cet homme que tu salues les mains jointes. Ailleurs. Mais juste là, vous voyez, en autobus, quoi, 20 minutes ?

Lundi 28 mai 2018

Au seul banc libre il manquait un tasseau et une propreté suffisante : quelque oiseau ou quelque maladroit était passé par là, abandonnant quelques taches. Sur le revêtement en béton du parc, nous mangeons ainsi une salade en faisant face aux verdures : celle dans le bol, celle qui nous entoure. Habillée entièrement de jeans, elle est très bronzée, mais je ne lui fais pas remarquer, cela ne me ramènerait probablement qu’à ma plus triste mine.
De nos conversations, si rares mais que j’aime tant — elle est, parmi les gens que je vois trop peu, une des personnes avec qui je me sens le plus en phase — je retiens toujours la douceur et la quête d’un idéal, parfois simplement verbalisé dans quelques indices : un mot, une sensation, un sourire. C’est encore le cas, puisque elle se rêve ailleurs.

Dimanche 27 mai 2018

Tes questions, ta curiosité, ton envie de connaître la ville et ses siècles, me donnent des réponses que je recherche. Ainsi, je regarde Paris autrement, comme une vieille dame à qui on oserait demander son âge.
Et comme on le sait, la vieille dame a des ressources. Nous voilà donc au musée Picasso, plongeant dans l’Histoire, celle qu’on grandit d’une majuscule avec l’exposition consacrée à Guernica, ou la mienne, puisque dès qu’il est question de la guerre d’Espagne il est question d’un morceau de moi-même, du chemin familial d’où je viens. Et puis soudain, l’émotion s’impose. Ce peintre que je ne croyais connaître, j’en ignore presque tout. Et donc les femmes pleurent sous des couleurs criardes et des larmes fleurs, et moi quasiment.

Samedi 26 mai 2018

Quatre chaises, nous sommes cinq. Ainsi, collant à une certaine idée de l’ambiance parisienne et des petits espaces, nous voici autour de la table basse. Les conversations relèvent le niveau, ta cuisine aussi. Les relations révèlent le niveau. Elles révèle ce que nous sommes, puisqu’ils sont là. Puisqu’ils sont, pour deux d’entre eux, ce qui a été tu.

Lundi 21 mai 2018

Lumière d’orage sur un paysage vert, des façades blanches, des bottes de pailles soudain dorées. Et puis un arc-en-ciel qui rompt l’anthracite ombrageant l’horizon, mais si l’on se retourne un peu, c’est un azur clair qui rassurerait ceux qui craignent le tonnerre. En face de moi, elles chuchotent ; nous avons quitté la gare il y a quelques minutes. Plus tard, plus au sud, les nuages m’évoqueront des peintures du 19ème siècle, le gris se bleutera de cobalt, un fruitier coupera la ligne nette séparant un champ du ciel, et ainsi se déroulera ce paysage aperçu. Et plus tard, toujours, sans cesse, elles chuchoteront. Celle de droite est hystérique, disons exaltée, d’abord parce que son amie lui a offert un livre dont je n’aperçois pas la couverture tellement elle le secoue et dont elle ne lit qu’un passage, mais ensuite parce que le moindre sujet de conversation l’électrise. Sa robe couverte de ronds multicolores convient au personnage, tandis que l’autre, pull marine sage, complète le tableau. Je tente vaguement de ne pas écouter, ainsi que je ferai tout le long du parcours, mais je suis fasciné par cet insupportable zébulon à la voix de crécelle qu’elle tente d’étouffer, s’étonnant que l’on dit d’elle qu’elle ne fait pas son âge, s’amusant d’avoir oublié la Chapelle Sixtine, se rassurant que sa sœur a calculé qu’elle pouvait écrire deux pages pour chaque chapitre, proposant mille-et-une idées de déjeuner pour le lendemain, ou encore s’inquiétant de ne pas soûler (sic) sa camarade, son monde s’arrêtant semble-t-il à 50 cm de distance. Alors L m’envoyant Zeus.

Dimanche 20 mai 2018

Il s’agit alors de chercher ce qui ressemblerait au rien, à l’envie du rien, un rien brisé par la vue, revue et re-revue leçon 76 du Assimil japonais, un rien brisé par l’obsession soudaine de collecter des vues carrées sur un réseau social.

Samedi 19 mai 2018

Les bonds d’un écureuil. Le gazouillis d’un oiseau. La course d’un lézard sur le béton. Le galop d’un cheval. La sensation de l’herbe sous la plante des pieds. Le goût de la tige d’une marguerite.

 

Jeudi 17 mai 2018

L’odeur de la mer existe, mais c’est d’abord sa force qu’on ressent, la pleine et entière confiance dans sa puissance, les rouleaux qui vous ramènent au bord, cet océan exempt de courants, pas traître, pas dangereux, pas comme ailleurs, plus loin sur la côte, à Biarritz ou dans les Landes. Ici, au bout de la France, les rouleaux sont direct, droits, ils sont puissants parfois mais ne font pas mal.

Julien Thèves ; Le Pays d’où l’on ne revient jamais.

Où, sans doute, j’aurais du parler de ce spectacle. Mais bon. Non. Les oiseaux ont déjà trop souffert dans la charmille.