Dimanche 25 juin 2023

Nous arrivons tard, un peu, la faute au temps qu’on sait s’offrir, mais est-ce une faute ? Il fait alors chaud, on se glisse où l’on peut, au milieu des autres, le soleil tape, il y a ici ou là les visages habituels, ceux à qui on ne sait pas quoi dire, un souvenir agacé ou ceux qui font comme si.

Je sens que tu aimes être là, un autre univers, de nouvelles personnes, une connivence ici, une légèreté et le show est Wow. C’est alors toi qui fais des images, pétillantes et belles, toi qui les montreras le soir venu.

Mercredi 21 juin 2023

Te revoilà. Tu m’écris sur cette application jaune où je ne t’attendais plus. Tu m’écris que tu es désolé, et d’autres billevesées du même acabit. Je te dis que je ne sais pas si je dois te faire confiance, mais je te mens. Car c’est clair : je ne te crois pas.

J’aurais pu être Danielle Darrieux, dans Madame de, qui dit en refermant la porte : « Je ne vous aime pas, je ne vous aime pas. Je ne vous aime pas, je ne vous aime pas. »

J’aurais pu l’être, peut-être.

Mais je ne te crois pas, je ne te crois pas. Je ne te crois pas, je ne te crois pas.

Dimanche 18 juin 2023

C’est un dimanche qui n’a jamais eu lieu. Maman est là. C’est la fête des pères, aujourd’hui, et maman est là, chez moi. C’est moi qui ai choisi le restaurant, un truc à part, je voulais quelque chose qui n’a jamais eu lieu ; certes j’aurais pu me mettre aux fourneaux, faire simple, efficace, donner de mon temps, filer chez S acheter des gâteaux. C’est quoi, qui m’a retenu, exactement ?

Au bord du miroir d’eau je vous prends en photo, il y a ce bonheur d’être ensemble, il y a peut-être un peu d’amertume ; je n’aime pas ce qui n’a jamais eu lieu, je n’aime pas les rendez-vous manqués, les regards regrettés. Il y a peut-être un sourire et un « Bah, c’est comme ça » en haussant les épaules avec derrière nous toutes ces années sans ça, maman ici, qui voit chez moi, mes petits fleurs dehors et puis hier je voulais que ce soit bien, j’avais acheté trois tournesols, une boule d’hydrangea blanche, cinq pivoines, leur parfum est citronné mais ce n’est que le soir que cela me parvient, je suis en train de dîner, des œufs et du bacon, presque une absurdité, et pas une goutte l’alcool.

Toutes ces années sans ça mais avec autre chose.

Et puisque c’est un dimanche qui n’a jamais eu lieu, on en revient toujours au même, puisque c’est un dimanche qui fait attendre que je te rencontre, même si tu n’es peut-être qu’un mirage de plus au-delà de nos rires. Derrière l’écran, moi-même, je suis plus éclatant, je rebondis sans précipitation, je trouve les mots qu’il faut, le jeu de mots qui fait mouche, tu ris.

Vendredi 16 juin 2023

J’ai eu le sida pendant trois mois. Plus exactement, j’ai cru pendant trois mois que j’étais condamné par cette maladie mortelle qu’on appelle le sida. Or je ne me faisais pas d’idées, j’étais réellement atteint, le test qui s’était avéré positif en témoignait, ainsi que des analyses qui avaient démontré que mon sang amorçait un processus de faillite. Mais, au bout de trois mois, un hasard extraordinaire me fit croire, et me donna quasiment l’assurance que je pourrais échapper à cette maladie que tout le monde donnait encore pour incurable. De même que je n’avais avoué à personne, sauf aux amis qui se comptent sur les doigts d’une main, que j’étais condamné, je n’avouai à personne, sauf à ces quelques amis, que j’allais m’en tirer, que je serais, par ce hasard extraordinaire, un des premiers survivants au monde de cette maladie inexorable.
::: Hervé Guibert ; À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie.

Alors elle pleure, la fille, elle pleure avec ses cônes de chantier, elle descend du tram et elle pleure.

Jeudi 15 juin 2023

Et toi dis-moi que tu m’aimes
Même si c’est un mensonge
Et qu’on n’a pas une chance.

Voilà ce que je lis. Sophie m’avait tendu quelques feuilles, j’avais pris « Comme un p’tit coquelicot » mais ce n’était pas moi, ça ne pouvait pas venir de moi et donner quelque chose de moi. Alors j’étais revenu à ce que j’avais apporté l’autre fois, ces Amoureux Solitaires, chanson aux airs légers ; détrompez-vous. Je lis, une fois, deux fois, ne me laisse pas faire pour la troisième version, il faudrait en faire plus et être vraiment soul, il faudrait tituber, mais l’alcool ne m’amène jamais sur ce terrain-là, je dis non. Fatigué ? Va pour fatigué, je vais lire comme ça, ça va venir de moi.

Mardi 13 juin 2023

Il a le verdict immédiat : goutte. Il dit : Vous mangez beaucoup de charcuterie ? Non, je dis non. Et… le pinard ? Boh… En ce moment c’est plutôt de la bière.

Lundi 12 juin 2023

– Alors ? Vous avez retrouvé avec qui vous aviez rendez-vous ?
– Oui… Apparemment c’est avec vous.

Jeudi 29 juin 2023

CAPC. Vernissage. Je n’y vais pas que pour te voir ou vous voir, j’y vais parce que peut-être il y aura des rencontres. Ainsi voilà J qui me présente C, qui me présente M, qui me présente J. Ainsi voilà M qui dit « On va là-bas, tu viens ? » Alors j’y vais.

Jeudi 1er juin 2023

L’homme est là. Je ne sais plus son prénom. Il est là presque tous les jours maintenant, devant la supérette où je fais régulièrement mes courses. Je crois que c’est l’été dernier que j’ai commencé à m’arrêter quelquefois, je lui achetais des crevettes, une bouteille de rosé dont il connaissait le prix, 3euros51 peut-être. Elle, elle préférait le saumon, elle était là parfois aussi. J’avais su son prénom, aussi, ou plutôt je crois que je ne l’avais pas très bien compris, elle est tchèque. Parfois on parle un peu, la dernière fois il s’était étonné de mon pantalon, il m’avait demandé si j’allais à la messe, elle était là aussi. Il ne croit pas, mais il y va parfois, pour elle, pour sa maladie. Je l’avais mieux regardée, ça crevait les yeux.

Je ne sais pas si c’est un couple. C’en est un quoi qu’il en soit, enfin je veux dire, heu… une forme de.

Depuis quelque temps elle n’est plus là. Je vais le voir, lui, seul, je lui demande s’il veut quelque chose. Je lui dis : « Ça fait un certain temps que tu es seul… » Elle est hospitalisée. Elle a eu le Covid. Pas compatible avec le reste : cirrhose, VIH, cancer. C’est la patronne de la supérette qui avait appelé le Samu, elle avait bien vu que ça n’allait pas du tout. Depuis elle remonte la pente. Doucement.

Pourtant, je voulais parler de toi, aussi, toi qui soudain dans le jour apparais.

Mercredi 31 mai 2023

– Vous me connaissez ?
– Ben oui je vous connais.
– Mais heu… vraiment ?
– …

Mardi 30 mai 2023

Train intercités, lumière de fin de journée, John Grant dans mes oreilles, puis Lana del Rey, j’ai 49 ans, i dance with noone on a Hollywood sign, certains s’en étonnent, puisque après les « Joyeux anniversaire » et les « Auguri » il y a cette même question.

En revanche toi tu danses. Ça fait deux mois, dis-tu. Tu en souris, bien sûr, je souris avec toi.

Dimanche 28 mai 2023

Les livres, le père les trouvait dans les trains de banlieue. Il les trouvait aussi séparés des poubelles, comme offerts, après les décès ou les déménagements. Une fois il avait trouvé la Vie de Georges Pompidou. Par deux fois il avait lu ce livre-là. Il y avait aussi des vieilles publications techniques fichées en paquets près des poubelles ordinaires mais ça, il laissait.
:: Marguerite Duras ; La Pluie d’été

Samedi 27 mai 2023

Je passe ma convalescence à Ostende. Une aide-soignante qui ne parle pas français (peut-être ne parle-t-elle que néerlandais), vient tous les jours, ui me couche le soir et m’assiste pour mon lever. J’ai le sentiment qu’ils n’y a pas de discontinuité dans ma vie, que cela fait des mois maintenant que je suis immobilisé ici dans un fauteuil roulant et que les journées se succèdent, identiques, devant la fenêtre de mon appartement.
::: Jean-Philippe Toussaint ; La Disparition du paysage

Se revoir. Toi, après mardi. C’est peut-être ce moment, cet après-midi avec toi, qui scelle quelque chose entre nous dans notre relation, je me dis que tu es sans doute le fils que j’aurais aimé avoir, c’est comme une amitié mais nos années la détourne un peu, non ? Je te raconte le musée, c’était beau, le musée de l’imprimerie et de la communication graphique, le personnel était chaleureux et j’avais navigué entre Gutenberg et les souvenirs informatiques de mon enfance et puis Excoffon, bien sûr. « Vous aimez Excoffon ? » m’avait dit l’agent en charge de la ‘accueil et de la boutique. « Je vais vous donner quelque chose alors. » Et il m’avait donné quelque chose : le dépliant de l’expo de 2012. Je te raconte la pause déjeuner au bord de l’eau – j’aime Lyon aussi pour la présence du Rhône et de la Saône -, le sandwich emballé dans une quantité absurde de plastique, le groupe d’hommes dont celui un peu perché qui s’extasiait pour un énorme silure, un requin, il disait, un requin, le mot chat aussi, il allait et venait sur quelques mètres du quai et perdu dans une incohérence assez coriace. Et je te raconte P, bien sûr, peut-être déjà loin.

Se revoir, bis. Vous deux, la dernière fois c’était l’été, c’était aussi pour un congrès que je passais pas là. Les conversations glissent, comme toujours, jusqu’à cette question :
– Tu es déjà allé à Londres ?
– Oui, avec toi, en 2008.

Vendredi 26 mai 2023

Il est 20h30. Tu es arrivé à l’heure exacte, sans m’avertir. Mais je suis à deux pas, place de la République. C’est alors le même sourire que samedi. C’est un hasard géographique qui nous fait nous retrouver ici, ou presque : tu as fait de la route.

Jeudi 25 mai 2023

Nous nous attendions tant, depuis août. J’avais alors espéré octobre sans promettre, parce qu’il me fallait retrouver cette ville ; j’en avais envie. Trop loin, cette ville, trop loin, on le comprend bien vite. Trop loin pour nous.

Mercredi 24 mai 2023

C’est sur une pelouse accueillante que l’on s’allonge. J’aime ce moment, là, avec toi, à la sortie du congrès, nous sommes passés acheter une boisson, tu as prévu une couverture et le parc est immense, immense à se perdre. C’est du côté des roses que l’on s’installe, il y aura peu de promeneurs peut-être.

Entre nous, je ne sais pas si c’est une amitié naissance ou déjà établie ; nous nous voyons si rarement. Oh bien sûr j’aurais aimé qu’autre chose naisse, tu es de tous ceux qui échappent, tous ceux qu’on tait, tous ceux à qui l’on ne dit rien parce qu’ils flottent dans l’impossible, l’immense impossible, immense comme le parc, parfois on y gambade, parfois on s’y allonge. Tu pourrais être un des chapitres de ce livre qui n’est que dans ma tête, à la lettre O, ronde, oh ! Un livre immense.

Mardi 23 mai 2023

Les années passent, je te regarde devenir un autre, mais peut-être es-tu toujours le même ? Peut-être ai-je oublié qui tu étais vraiment. Peut-être n’arrivè-je à me rappeler que ton visage, tant photographié. Il change, lui, pourtant, évidemment. Ton style aussi, les anneaux aux oreilles, tout ça. De ton sac tu sors un roman : un Guibert. Enfin, ça y est, tu lis des romans. Tu en ris.

Bientôt tu reprendras la fac, ça te manque, la littérature. Tu es joyeux, joyeux en le disant, mais ça tu l’as toujours été. Rieur. Espiègle. Tu vois, je me contredis.

Et puis tu fais des collages.

Lundi 22 mai 2023

Tous les matins, je passe devant le club Mickey.
Au club Mickey, ils ont des balançoires, des toboggans, des monos bronzés en tee-shirt, et surtout ils ont une piscine.
Ma mère dit que c’est ridicule, une piscine sur le bord de mer.
Moi, je ne trouve pas.
::: Jean-Philippe Blondel ; Accès direct à la plage

Vendredi 19 mai 2023

– Ils étaient à ce prix-là, vos sandwiches ?
– Non, ils ont augmenté aujourd’hui.
– Ah oui c’est l’ascension en effet.

Jeudi 18 mai 2023

C’est moi qui regarde les livres. Je viens de me lever du canapé en velours vert bouteille, de cette matière qui brille un peu et qui est belle sur les photos que nous venons de faire de toi – il me semble soudain incongru d’écrire « que je viens de faire », ne sommes-nous pas deux ?

« Pour une fois, c’est moi qui regarde les livres des autres« , je te dis. J’ai repéré les Duras, alors je m’en approche, on en parle. J’aime ce moment. J’aime comment les trois heures avec toi dimanche n’ont pas dévoilé cela. J’aime comment les relations se construisent au fil des premiers jours, comment on pose les premières pierres. J’aime un peu moins ne pas savoir ce qu’elles deviendront précisément, une amitié ou un amour : j’aime un peu moins devoir attendre.

Mercredi 17 mai 2023

Je n’imaginais pas son visage ainsi. Je la savais jeune, tu me l’avais dit, 27 je crois, 26 peut-être. J’imaginais une jeune femme dégageant une certaine force, une coupe au carré acajou pour mieux affronter ton énergie et cette Andalousie qu’il y a en toi, puisque je n’ai pas peur soudain de quelques clichés régionalistes. Non, elle porte des cheveux châtain bouclés, des lunettes aux fines montures de métal fin comme j’en portais peut-être à l’école primaire. C’est sa fragilité qui s’assied avec nous, sur les tabourets hauts de chez Berthom. Elle ne commande rien, finit un peu de ta pinte, et puis nous partons. Une pizza d’abord. Fragile, elle ? Non, évidemment non.

Puis un premier bar où la jeunesse n’est plus de mon âge et où je n’avais pas mis les pieds depuis au moins trois années. Dehors K fume, derrière la porte d’entrée c’est D qui est là : vais-je m’y sentir moins seul donc moins vieux ? La liesse y déborde, on y danse, iels y dansent sans relâche sur des airs que j’ignore. Au bar il y a cet homme qui n’a même plus mon âge et qui semble perdu, triste, ailleurs, je ne sais pas. Bien vite, d’un accord presque commun, puisqu’on hésite toujours un peu – ne faut-il pas attendre ? – on part.

Enfin, un autre bar, mes habitudes. Ici c’est tout l’inverse : personne ne danse. Le DJ se démène, presque pour nous. Parfois S s’approche, une vodka-orange à la main, gigote un peu, et puis repart. Soudain N arrive, surprise réciproque, nous voilà dans nos bras et puis je vous présente. Vous partagez cela : le même prénom, le tien a un accent. « Tu connais tout le monde« , ils disent. Non, évidemment non.

Mardi 16 mai 2023

::: Lola Cambourieu, Yann Berlier ; Enterrement de vie de jeune fille ; 2021

Dimanche 14 mai 2023

⋅ ⋅ ⋅

::: Chantal Akerman ; Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles ; 1975

Mercredi 10 mai 2023

Tu es là, quelque temps, sur ce continent qui te manque. Tu as voulu me voir. Nous étions pourtant peu de choses. Quatre ans, déjà. Mais suffisamment, oui, nous étions quelque chose, un peu à découvert ; tous se souviennent sûrement de nous.

Mardi 9 mai 2023

Ils rient de l’homme qui va et vient dans sa folie, ils rient méprisables et tu me retiens. Tu dis « Viens, on y va.« 

Dimanche 7 mai 2023

Je ne sais pas si c’est leur visage, le vrai, qui éclabousse le mur de ma cellule d’une boue diamantée, mais ce ne peut être par hasard que j’ai découpé dans des magazines ces belles têtes aux yeux vides. Je dis vides, car tous sont clairs et doivent être bleu ciel, pareils au fil des lames s’accroche une étoile de lumière transparente, bleus et vides comme les fenêtres des immeubles en construction, au travers desquelles on voit le ciel par les fenêtres de la façade opposée. Comme ces casernes le matin ouvertes à tous vents, que l’on croit vides et pures quand elles grouillent de mâles dangereux, écroulés, pêle-mêle sur leur lit. Je dis vides, mais s’ils ferment leurs paupières, ils deviennent plus inquiétants pour moi que ne le sont, pour la fillette nubile qui passe, les lucarnes à barreaux des immenses prisons derrière lesquelles dort, rêve, jure, crache un peuple d’assassins, qui fait de chaque cellule le nid sifflant d’un nœud de vipères, mais aussi quelque confessionnal au rideau de serge poussiéreuse.
::: Jean Genet ; Notre-Dame-des-Fleurs

Tu es un souvenir, un deuxième. Trois peut-être. Cinq années déjà. Mais tu es ici à présent : oui tu vis ici à présent. Nous nous retrouvons devant la fontaine des Quinconces, c’est simple. Avec moi il y a JL. Avec toi il y a A. Nos amis avec nous, ces retrouvailles n’en sont presque pas : les conversations vont rapidement ailleurs, au milieu des brocanteurs. Ici une table, là des fauteuils. Jusqu’à ce qu’arrive J, ses deux mètres et son audace étriquée dans un bermuda bordeaux et sa gouaille : « Mais tout le monde connait Arnaud », crie-t-il à qui veut l’entendre. Qui ne le connait pas, lui ?

Jeudi 4 mai 2023

Le message apparait, réponse à ma candidature. Je clique en m’attendant à un refus : nous aurions dû être notifié fin avril. C’était écrit, fin avril.

Mon regard se pose à peine sur le message et croise le mot plaisir. Il est là, dans la phrase que je lis alors entière : « Suite à votre candidature, j’ai le grand plaisir de vous annoncer que votre série a été sélectionnée… »

Monte en moi un mélange de joie et de fierté. Je suis heureux. J’explose. Le projet sur mon grand-père va naître autrement, par les images nées de l’absence, nées de la quête. Par écrit, j’explose aussi : « Oui oui oui oui oui oui ouiiiiii !! », ainsi le message commence. Et puis je pense qu’il aurait été fier, mon père. Dans le message, je ne l’écris pas. Je n’écris pas non plus qu’alors je pleure.

Lola Cambourieu, Yann Berlier : Automne malade, 2019

Lundi 1er mai 2023

Je me souviens de la mélodie, pas du nom de la chanson, je ne suis pas fort en noms, mais de l’air. Je n’oublierai jamais l’air de cette mélodie. Même si je ne me souvins pas de la tête du routier, et c’est ça qui est rigolo, parce que je le regardais pendant qu’il agonisait, et ma mémoire n’a rien gardé de s figure, à part qu’il avait des cheveux noirs. Pauvre routier.
::: Walker Hamilton ; Tous les petits animaux

Samedi 29 avril 2023

Finissons-en.
Mon père ou ma mère, un jour de valse, serra un peu plus fort qu’il n’était permis le corps dansant de l’autre. Cela suffit. Au temps où la province ne rêvait que de mariage, un rien était prétexte.
C’est dans cette étreinte de bal que commence l’idée de mon existence.
::: Mathieu Belezi ; Le Petit Roi

Tu n’as pas les yeux bleus du garçon en terrasse, qui me regardait, me regardait encore et que je regardais et regardais aussi. Non, toi tu as des yeux noirs, andalous. Tu es là par hasard, par leur retard, un message au cas où. Tu es là et cela me plait, surtout quand tu mets ton nez entre les pages du Belezi pour en connaître l’odeur. Moi je te parle du toucher, comment on peut caresser les couvertures des grandes maisons d’édition françaises. Tu m’offres aussi une de ces erreurs de subjonctif dans ton accent discret quelques vers de Dante. Je crois qu’on y parle d’amour mais ce n’est pas pour moi. Même si tu me regardes.

Jeudi 27 avril 2023

Je t’attends sans t’attendre. Je sais que tu ne viendras pas non plus.

Mercredi 26 avril 2023

Elle dit, de sa voix fragile, les mots de la mort à venir. C’est quand elle dit qu’ils n’ont pas fini de fumer leurs gitanes qu’elle se met à pleurer. Elle dit qu’elle ne peut pas. Mais Sophie insiste. Elle essaye mais non. Sophie insiste encore. Et puis elle peut.

Voilà. Nous revoilà, pour lire. Lire ensemble mais les uns après les autres, un ensemble qui s’écoute mutuellement. Je suis le troisième à passer. Avant moi il y a S et sa voix qui vient des montagnes. C’est là, justement, qu’elle nous emmène.

Comme la première fois, j’ai envoyé deux textes : j’avais furieusement envie de dire les deux premières pages de L’Amant, celles du visage dévasté. Et puis, Belezi. Les premières pages, là aussi, du magistral Arracher la terre et le soleil. Moins facile que Duras, alors c’est Belezi. Là encore c’est la mort qui attend. Au début, dans ces premières pages, ça ne le dit pas : ça dit le temps, l’attente, la traversée, en deux pages Belezi arrive à nous faire vivre des jours interminables. Alors il faut aller lentement. Ma voix est plus basse que pour le Rouchon-Borie : le texte la déplace ; j’aime. J’aime où la lecture à voix haute m’emmène. J’aime la sensation quand ça vient de là, du ventre. J’aime ma lutte pour me concentrer sur les mots afin de les voir et les faire voir. On me regarde. On m’écoute surtout, certaines ont les yeux fermés.

Mardi 25 avril 2023

Je t’attends sans t’attendre. Je sais que tu ne viendras pas. Je lis dans ton silence ce genre de moment où l’autre n’existe pas, c’est-à-dire pas assez. J’ai pourtant la naïveté, avant d’éteindre, de m’inquiéter, et de te l’écrire.

Lundi 24 avril 2023

Il est 11h25, tu m’envoies deux images : deux pages de Passion simple, d’Annie Ernaux. Parce que je l’apprécie. Et puis tu écris que tu t’es mis à l’apprentissage du japonais, avant de me faire entendre ta voix, cette voix qui s’allonge ici ou là. Tu es toujours amoureux, aussi.

Dimanche 23 avril 2023

Je suis là pour faire des images du jardin, tel qu’il est aujourd’hui, tel qu’il est depuis qu’elle est partie et depuis qu’ils ont tout nettoyé. Je dis jardin mais ce n’est pas tout à fait un jardin. Ce n’est pas un lieu où l’on jardine. Sur la terrasse, devant la maison, il n’y a plus le moindre des objets. Cette fois encore, subsistent les images, quelque part. Ce n’est pas vraiment triste, pourtant, ça caquette encore follement.

Samedi 22 avril 2023

Dans les cartons encore des objets, tant et tant d’objets, interminable liste sans liste — on ne note rien, on pourrait, dans un inventaire fou, écrire, empoigner les milliers de choses, compter, retranscrire ce qu’il y a dans chaque petite boîte, elle-même dans un carton. Je pourrais faire des images, comme un autre inventaire que celui du 10 juillet 2014, comme cette artiste vue à Arles. Quel était son nom ? De chez elle, elle avait tout photographié : chaque objet.

Il gardait tout.

Je crois que je veux tout voir pour me rappeler. Le retrouver, surtout celui de mon enfance effacée. Me la rappeler aussi, mon enfance, aussi. Elle est là : dans une pipe, des allumettes, des pin’s.

Aujourd’hui, ce 22 avril, je garde de ce « tout » une médaille de Lourdes au bout d’une chaine en toc qui appartenait à ma grand-mère Lucette, un vide-poche (même provenance), une pièce de 25 centimes de 1926, une pièce de 2 francs de 1943.

Je garde aussi une photographie. Elle est abimée. Il y a le visage de mon grand-père Antonio, nous sommes vraisemblablement avant ou pendant la guerre d’Espagne, il n’a donc pas 30 ans. C’est le visage de mon père. C’est frappant, émouvant. C’est un peu le mien, donc, mais d’abord celui de mon père. Je crois qu’il ne lui ressemble que sur une seule photo, je crois que c’est ce que j’ai écrit, ailleurs, dans ce livre qui attend.

Vendredi 21 avril 2023

Il n’y a plus les vaches, mais une terre raclée et le ronronnement d’un tracteur qui finit la besogne. Il n’y a plus les vaches. C’était annoncé, c’est fait. Il reste des images, le souvenir de leur truffe humide et de leur langue rapeuse qu’on évitait ; parfois ça passait tout près de l’appareil photo, les cornes aussi.

Jeudi 20 avril 2023

C’est ainsi qu’ils arrivent au bout de la rue, hilares, grisés par une soirée déjà entamée. Tu leur avais donné un indice, le lieu de notre rendez-vous, ils en rient encore. Peut-être avais-tu dévoilé cela par crainte de t’ennuyer avec moi. La terrasse était pleine, nous sommes allés au B., c’est là que nous nous sommes rencontrés.

La soirée avance, je te sens tiraillé entre eux et moi, parfois ils s’immiscent entre nous, ce sont encore des rires et des moqueries douces, parfois des élucubrations à la limite du trop. J’aime cela, c’est sincère, comment ils interfèrent joyeux dans notre rencontre, comme autant de confettis qu’on nous jetterait au visage, virevoltants, oui c’est ça, à la limite du trop. Les années qui nous séparent n’existent que alors peu. J, S, A, JL et les autres sont là, aussi. Et certains s’impatientent.

Mercredi 19 avril 2023

Il y a le matin. Tu dis que c’est super, qu’il y a des livres partout ici. Même là, sur le canapé.

Il y a l’après-midi. Je me dirige vers lui ou elle, je ne suis pas trop sûr que ce soit il ou elle, elle ou il. Je lui dis qu’il y a une erreur, le même QRcode sur les deux panneaux, là oui, ces deux là. Les textes y sont trop longs, c’est toujours la même histoire dans ce festival, mais c’est un autre débat. Les travaux photographiques exposés me touchent, m’indiffèrent, m’étonnent, m’agacent. Les textes aussi parfois me crispent, ils disent trop, ils ne savent souvent pas se taire.
Je lui dis aussi que le festival ne répond pas aux questions sur leur compte Instagram, je leur ai écrit hier, et rien…
– C’était quoi votre question ?
– Si on pouvait venir avec un chien.
– Ah oui moi je les accepte, et je les compte comme un spectateur.