On ne se connait pas. Je ne sais même pas qui tu es. Tu n’existes pas. J’imagine un visage triste aujourd’hui, triste demain. Je ne sais pas à qui il faut dire ce que je veux dire. Je ne sais pas comment le dire. Je regarde la date, elle s’impose, elle impose de dire quelque chose, quand bien même, depuis toujours je crois, je me tais devant les dates, les stèles, les pleurs, les peurs, les discours, les idées, je crois que ce n’est pas l’endroit, mais est-ce l’endroit de dire que ce n’est pas l’endroit ?, déjà dire ça c’est mettre le doigt dans l’engrenage après l’avoir posé sur mes lèvres. Pas l’endroit pour écrire que tout est tordu ? tout est monstrueux ? pour écrire quelques phrases en hommage aux morts, ceux d’un jour, sans oublier tous les autres, auparavant, depuis, partout. Faire signe, ce n’est pas oublier le reste mais j’ai peur de faire signe : il y aura quelqu’un pour dire “Tu oublies le reste !” Cette date est toute la complexité du monde et toute son horreur tant elle recouvre tout le reste, même ce qu’elle ne recouvre pas. Elle me donne envie de me taire, fermer les yeux. Silence coupable. Je sens mon silence coupable. Il ne suffit plus de penser aux morts innocents qui tombent chaque jour sous la folie. Il faut faire hommage sur un réseau social, dire hommage, dire Non, dire Oui, dire pour ne pas être celui qui ne dit rien. Mais il faudrait des heures pour dire tout, pour dire combien on voudrait pouvoir tout dire, tout, la folie et ça ne suffirait pas, il y aurait toujours quelqu’un, une foule, pour vous crier “Non ! Ne dis pas ça !” Ce soir, dans les réseaux sociaux, j’ai senti, plus que d’habitude je crois, que tout – le monde, les commentaires sur Internet – était impossible à supporter. J’ai trouvé cela épuisant. Il y a les minutes de silence. Il faudrait des jours de silence.