C’est l’envie d’être chez moi qui s’empare de moi. Je suis chez Christian, je suis là où j’ai vécu, je suis venu pour le déjeuner, j’ai apporté des petits gâteaux de chez Takumi comme la dernière fois parce que c’est pratique, c’est métro Pyramides et c’est là qu’il faut passer de la 14 à la 7. Trois parfums pour deux, il faut les couper, les couleurs sont belles, les assiettes aussi. Chez Christian, l’espace a beaucoup changé, ça s’est épuré, c’est très beau et le Japon est partout, presque trop, où est la faille, où est la trace d’un séisme ? A travers les baies vitrées, tandis que nous déjeunons, je vois le soleil qui frappe le bâtiment d’en face, j’hésite un court instant à sortir mon appareil photo, mais non, rien. Nous parlons du Japon et de bien d’autres choses, la famille, quelques amis, l’amour n’existe pas. Je comprends après le dessert – vert, jaune, noir – que j’ai eu ma dose parisienne, que je veux être chez moi, que Paris n’est plus chez moi, je dis encore parfois que oui Paris pourrait être ma ville, mais comment ? Et puis je repars, j’ai oublié de faire des photos du quartier, la lumière de mai pourtant, dommage ; haussement d’épaule.
Samedi 3 mai 2025
Alors, je puise dans Paris ce qui fait joie : le hasard d’une découverte sur les murs d’une galerie parisienne, puis d’une autre, une pensée qui vagabonde ici, une inspiration qui nait là, l’envie de faire ça, moi aussi, des murs blancs et mon nom dessus, dessiner, peindre, créer créer créer. Parfois je reste pantois, l’émotion s’appelle ennui, mais toujours j’en tire quelque chose, comme le souvenir de couleurs acidulées. Et puis revoici Sophie Calle.
Vendredi 2 mai 2025
Déjeuner chez Irasshai. Terrasse calme jusqu’à ce qu’un olibrius allume sa musique à 5 mètres de moi. A 12h18 j’écris à Richard : « Je me réconcilie avec Paris ». Sur la photo : mon plat japonais et les murs extérieurs de la Bourse du Commerce.
Et donc entrée de la Bourse du Commerce, scan de ma carte d’abonné par un jeune homme aux cheveux bouclés, petit bip en mode vrombissement qui dit non, et sur son écran c’est écrit OUT en rouge. Je souris, explique avec un léger poil de condescendance — sur une échelle de 1 à 10, on dira 1,3 — que mon abonnement a été pris le 4 mai 2024 et que par conséquent je ne suis pas totalement Out. Dans ces moments, mon attitude, ma voix et ma façon de parler me font penser à mon père. Le jeune homme aux cheveux bouclés me croit : « Ce n’est pas moi qui vais vous empêcher de passer » dit-il. Je serais prêt à parier qu’il a, dans la seconde, regretté cette phrase.
Bref. M’y revoilà. Comme je suis venu récemment — mais qu’il y avait trop de monde —, je ne suis pas empêtré dans l’effet de surprise et je peux, je le sens, vraiment profiter des œuvres, prendre le temps de regarder les dialogues entre les pièces et je suis vraiment, mais vraiment frappé de la perfection de l’installation. Mais s’il me fallait garder un seul moment, ce serait l’émotion devant une toile de Myriam Cahn. Presque je pleurerais.
Jeudi 1er mai 2025
Seul, face au ciel de Saint-Ouen, Paris est à deux pas, pour ne pas dire que Paris est sous mes pieds et m’y voilà depuis hier. Seul sauf la venue de Stan pour faire quelques images. Non pas des photos. Des vidéos. J’ouvre de nouvelles portes, folie joyeuse. Alors la journée se déroule, montage, montage, sans ce que je viens de tourner, ça reste sous mon coude et sur la carte de l’appareil photo. Une échéance approche, folie réelle, une scène, un autre nom que celui avec lequel je suis né, nom-expérience, nom-audace, nom-sonorité, prénom Z. Mais seul, fenêtres fermées — attention aux chats — je finis par étouffer, alors métro, s’agacer sous terre pour arriver à sortir à Châtelet-Les Halles, quais de Seine, la foule et moi au milieu, il fait beau, tout est beau, je retrouve ma ville, je n’ai pas vraiment envie de voir des amis car j’ai peur de devoir parler, raconter la vie, le travail, celui qui n’existe pas. J’ai envie d’une terrasse de bar, celle du Café Beaubourg est parasité par un Bob Dylan braillard à 15 mètres, j’en choisis une autre mais mauvaise pioche trop de monde, trop de bruit, juste derrière moi une jeune femme insupportable, trop de décibels, trop de tout, il a suffi d’une panne d’électricité là où elle vit, Barcelone, pour qu’elle découvre que sans électricité on ne peut rien faire et je n’arrive pas à trouver rafraichissante sa naïveté de crécelle. Paris déjà m’épuise ?
Mercredi 30 avril 2025
Lundi 28 avril 2025
Les années ont passé, c’était quand ? 2020 ou 2021 ? Il avait été l’un des premiers à relire Présence à l’époque où cela s’appelait Présence de l’amour à l’intérieur, à l’époque où il y avait des photographies au milieu des mots, à l’époque sûrement où j’aimais encore A. Nous sommes attablés, terrasse de l’Utopia, il était passé devant moi jeudi, même terrasse, je l’avais interpelé, justement je parlais de Présence avec Eric. Lui aussi s’appelle Eric. Je les avais présentés, on avait souri. On s’était dit « Voyons-nous ! » J’avais toujours son numéro. Dans mon répertoire il s’appelait « Eric Derrière la gare ». J’ai oublié son nom.
Dimanche 27 avril 2025
Nous sommes devenus des dimanches éloignés, mais le rituel reste le même. Le marché, les olives, la terrasse de la Mère Michel, un apéritif, un plat, le soleil, aller chez toi. Rien d’autre. Rien de moins, rien de plus. Satisfaction ? Je ne te dis pas que tu ne m’as pas manqué. Est-ce que tu aimerais l’entendre ?
Vendredi 25 avril 2025
A nouveau, au milieu de la nuit, un réveil étrange, cotonneux, 38°C, ça s’appelle de la fièvre mais ça reste raisonnable. Au matin je préviens encore, chez moi je reste.
Jeudi 24 avril 2025
Alors, ses yeux bleus dans les miens, il dit qu’il n’attend rien d’autre que d’être seul, seul sauf durant les parenthèses pendant lesquels des inconnus re rencontrent et se connaissent à peine. Il nous laisse là où nous sommes, sans laisser le temps de se poser la question d’un peut-être, c’est-à-dire plutôt qu’il nous installe dans quelque chose qui se précisera peut-être sous le nom d’amitié dans des semaines, des mois. « Et toi ?« , me demande-t-il.
Mardi 22 avril 2025
Se réveiller. Et puis dormir encore. Dormir. Dormir. Annuler les rendez-vous. Descendre lentement à la pharmacie. Dormir encore. S’éveiller parfois pour voir les heures qui tournent. Avoir peur du temps perdu.
Lundi 21 avril 2025
Dimanche 20 avril 2025
Samedi 19 avril 2025
Tram. Femme au débardeur rouge, pull gris autour des hanches, sac Lidl duquel dépassent deux gros emballage d’œufs de Pâques, cheveux longs auburn, elle sourit, me regarde à peine comme si elle n’osait pas me regarder, je la scrute pour ne pas l’oublier, elle croit peut-être que je la désire. Mais on sourire à peine esquissé provient peut-être de ses pensées, regardez comment elle remet ses cheveux sur son oreille, je crois peut-être qu’elle me désire. J’avais oublié que c’était Pâques, lundi pourtant férié.
Vendredi 18 avril 2025
Jeudi 17 avril 2025
Un dragon cracheur de nuages : c’est l’image qui vient à l’esprit en apercevant les premiers contours de l’archipel à travers le hublot. Un dragon géant, vivant, palpitant, sur l’échine très verte et très écaillée duquel on va venir se poser. Ces contours si longuement rêvés en m’aplatissant sur des atlas deviennent enfin réels.
::: Emmanuel Ruben ; L’Usage du Japon
Mon bureau est un peu comme le décrit Perec dans Penser/Classer. Pire, probablement : un foutoir. Dans mes rêves les plus fous, ainsi y pensais-je hier dans l’avion en relisant un passage de ce livre, je m’amuse à plagier l’écrivain pour un Je me souviens ou pour faire témoignage du bazar qui encombre ce coin de mon appartement, un L d’environ 1m20 par 1m50.
Perec, c’est le souvenir précis – j’avais alors 25 ans sans doute – de mon étonnement en entamant Un Homme qui dort, et en y découvrant un tutoiement. Je suis sans doute, depuis, en quête de ce même type de surprise lorsque j’ouvre un livre. Je l’étais sans doute alors déjà, sans vraiment l’avoir su ou verbalisé. Mais là n’est pas le sujet.
Sur mon bureau, me font face depuis des mois, appuyées contre le pied de mon écran d’ordinateur, en alternance, des documents ayant appartenu à mon grand-père Antonio : enveloppe avec des feuilles de paye, carte de visite – j’en possède deux, adresses à Châtillon-sous-Bagneux ou Rochefort -, ou une photo. Les photos aussi, il y en a deux. Sur l’une il est avec deux amis ou collègues, photo rongée par le temps, faisant presque disparaître l’un des visages. Sur l’autre, il est au camp d’internement de Montendre avec 16 autres hommes et un enfant. Ce soir, au hasard d’un rangement très bref, c’est une enveloppe, une autre, qui me fait face, posée contre les sus-cités objets de papier. Elle a été écrite le 11 avril 1941 par mon grand-oncle Maurice à ma grand-mère Raymonde. Il était alors dans le camp désigné VIII C : prisonnier de guerre numéro 15994.
Cette lettre, que j’ai récupérée au milieu de nombreuses autres, je crois qu’elle est là pour ne pas oublier. Que tout est possible. Même ça : être un numéro dans un camp, ailleurs.
Mercredi 16 avril 2025
Mardi 15 avril 2025
Décollage. Fin. Cinq petits jours à Kyoto, folie inordinaire et salvatrice ; j’ai laissé au rebut l’idée que plus jamais je ne prendrais l’avion, vois-tu, j’ai mis dans la balance la folie des hommes, la fatalité, la raison et la déraison.
Sur le petit écran du vol AY0068 qui me ramène en France via Helsinki, je regarde le Magicien d’Oz : c’était comme un moment au-delà de l’arc-en-ciel, ces jours. A côté de moi un couple silencieux, pas un mot entre eux il me semble. De tout le vol, pas un mot ?
Depuis jeudi, j’ai rempli des pages, j’ai amassé des images qu’ici je ne montre pas. J’ai regardé qui j’étais, qui je pouvais être, comment j’aimerais être demain. J’ai aussi compris que ce pays pouvait être autre chose, avec ma propre place, parce que toujours il y a la présence de celui qui m’a amené ici, permis de vivre ici. Hier, à la VK, j’étais encore celui qui a été, l’ex de l’ex. En descendant ensuite le petit chemin avec Charlotte et June, en parlant de moi, j’allais sans doute vers autre chose. Il fallait sûrement ce moment un peu gênant au milieu du béton et des visages. Alors mardi prochain, pendant les 30 minutes de consultation avec Mme M, assis sur le canapé de velours vert, j’aurais sans doute une réponse à la question de la dernière fois.
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Lundi 14 avril 2025
Dimanche 13 avril 2025
Samedi 12 avril 2025
Vendredi 11 avril 2025
Jeudi 10 avril 2025
7 ans plus tard, et surtout 8 ans depuis le grand départ, celui des larmes, je reviens à Kyoto. Dans un carnet j’écris, j’écris, j’écris. Impossible de tout noter, le moindre détail, le moindre sourire, le moindre prénom, mais je me dis que cela pourrait donner naissance à quelque chose, ce retour au pays d’autrefois et d’ailleurs. Aurais-je l’audace d’un livre ?
Mercredi 9 avril 2025
Dimanche 6 avril 2025
Samedi 5 avril 2025
Vendredi 4 avril 2025
Lundi 31 mars 2025
Je sais et je ne sais pas qui nous sommes, ce que nous sommes. Je sais et je ne sais pas dire. Vite je me tais devant l’indéfinissable. Indéfiniment ? Je ne sais pas si nous sommes en équilibre, si nous sommes un équilibre, si nous trouvons ce qu’il nous faut, toi avec moi, moi avec toi. Ou souvent sans l’autre dans des silences et des questions flétries par les heures que tu donnes pour répondre. Parfois les questions meurent, abandonnées.
Tu restes une question, plusieurs questions et les semaines qui se trainent derrière nous ne sont pas une réponse. Quoi que. Sur cette terrasse qui n’a plus de soleil – bientôt il fera frais – tu dis le trop – trop souvent -, l’obligé, et moi je me connais. Je raconte un peu jeudi soir, vendredi soir, samedi matin et mon insupportable dimanche, presque nous avons eu le même. Nous omettons sans doute quelques détails qui n’en sont pas.
La neige qui n’a pas cessé de tomber depuis trois jours, bloque les routes. Je n’ai pu me rendre à R… où j’ai coutume depuis quinze ans de célébrer le culte deux fois par mois. Ce matin trente fidèles seulement se sont rassemblés dans la chapelle de La Brévine.
::: André Gide ; La Symphonie pastorale
Dimanche 30 mars 2025
Samedi 29 mars 2025
Ils sont quatre, attablés, ils parlent de bêtise et d’intelligence et on les écoute : Flaubert, Musil, Zweig, etc. Écouter, moi j’essaye, je note pour rester concentré, une lutte habituelle. Et puis bien sûr cela se termine, je salue, je pars, j’achète – c’est inattendu – des tasses couleur bleu cobalt, j’aime cette couleur, c’est presque la nuit, bleu sommeil.
Vendredi 28 mars 2025
Alors, je lis les 3 lignes que j’ai écrites, et tous, ils rient.

Je suis un malade mental. Il m’est difficile de dire depuis combien de temps, vingt ans, peut-être trente, certainement huit, depuis qu’un diagnostic a été posé.
::: Nicolas Demorand ; Intérieur nuit
Jeudi 27 mars 2025
Il est tard, 22h33, à peine rentré chez moi. Le travail m’a emmené du côté de l’IA, d’une conférence menée tambour battant, d’un buffet aux rares convives. Ce sera quoi, demain, la santé avec l’IA ?
Et ce sera quoi, demain, mon travail ? C’est une question, j’ai 50 ans, je veux faire quoi quand je s’rai grand ? C’est ainsi que de 14h à 15h30, j’ai parlé de moi. On verra. Demain est une incertitude. Aujourd’hui tout autant. Décider est parfois une impossibilité, une montagne à franchir.
Bref, il est 22h33 et je me dis que je regarderais volontiers un film. J’allume lacinetek et le bonheur m’envahit. Le sommeil, bientôt, aussi.

Mardi 25 mars 2025
Alors, au bout de quelques minutes, je me réconcilie avec mes pensées vagabondes.
Dimanche 23 mars 2025
Samedi 22 mars 2025
Jeudi 20 mars 2025
Dimanche 16 mars 2025
Alors, les doutes d’hier font naître dans mon esprit d’autres images, un autre récit. Au matin j’écris à Frédéric : « Je pense que je vais en monter un autre avec quelque chose de moins intime. Avec d’autres photos. Pouvant être projeté sans voix par exemple. »
Il est alors tard quand ce sont d’autres images qui s’imposent sur l’écran : Soudain l’été dernier. J’aimerais te dire ce que ce film est pour moi. Demain peut-être, si tu me réponds. Avec une poignée d’autres, il a ouvert mon chemin vers le cinéma, j’avais peut-être dix-huit ans, peut-être vingt, peut-être plus, et dans le salon, chez mes parents, la nuit tombée et tout le monde endormi, je découvrais Une Femme sous influence, Un Tramway nommé désir ou encore, donc, Soudain l’été dernier. Depuis, je ne l’avais jamais revu. Il était un phare, une référence ni très nette ni très floue. Je ne sais plus exactement ce qui m’a marqué dans ce film, si ce n’est ce « quelque chose », qu’ont les grands films et qu’alors j’ignorais. J’avais peur de le revoir. Depuis des jours, j’hésitais. J’avais peur de voir quelque chose s’effondrer. Quelque chose de ma jeunesse peut-être. Ou bien la faire ressurgir ? Confusion.
Ce soir, en le regardant, je suis resté ébahi devant les quasi vingt minutes où le Dr Cukrowicz se rend chez Violetta. Happé. Happé par des fractions de secondes qui s’étirent et me font oublier le sommeil.
Samedi 15 mars 2025
Sur la timeline, des ronds noirs trouent les images, se glissent sur les corps, masquent les visages : une autre manière pour moi de montrer sans montrer. Parfois des des prénoms, des mots. J’essaie. Je cherche. J’aime creuser ainsi. J’y passe des heures, je pourrais y passer des jours. C’est une construction, une méditation, autour le monde s’efface. J’ajoute des fractions de secondes, d’autres encore et cela devient un objet. Gêné, pourtant, par ce que cela devient.
Vendredi 14 mars 2025
Jeudi 13 mars 2025
Tu ne savais pas quand commencerait la vie. Petit, tu étais un élève brillant. Tu rapportais de bonnes notes à la maison et l’on te disait que ce serait utile pour plus tard. La vie commencerait donc plus tard.
::: Eric Chacour ; Ce que je sais de toi
Mardi 11 mars 2025
Alors tu es quelque part sur l’écran, quelque part dans ce petit garçon, sans comparaison cependant. Je ne sais pas ton enfance, pas cette partie de ton enfance. Elle n’était pas là entre nous, je ne sais pas où elle était en toi. Je sais juste quelques images de toi. Peut-être voulais-tu l’oublier comme on veut tous oublier ces recoins de nous ; ce sont des étendues parfois.

Lundi 10 mars 2025
Alors je lui dis que j’oublie trop.
Dimanche 9 mars 2025
Jeudi 6 mars 2025
Mardi 4 mars 2025
La terrasse du P’tit Pierre devient une habitude. On s’y retrouve pour regarder les gens, une faune qui deale, traverse devant le tram, va et vient, cache des paquets derrière le banc. Parfois tu ris aux éclats.
Dimanche 2 mars 2025
Jeudi 27 février 2025
Mercredi 26 février 2025
Lundi 24 février 2025
Dimanche 23 février 2025
Samedi 22 février 2025
Vendredi 21 février 2025
C’est alors inédit, ces heures presque silence qui nous emmènent au-delà des carrosses redevenus citrouilles.
Jeudi 20 février 2025
Can love be measured by the hours in a day, demande soudain la chanson, les paroles sautant à mon esprit divaguant. Le tramway m’emmène chez toi. C’est inattendu, nous avions dit demain. Je crois comprendre, une fois la porte franchie, l’alcool servie, tes premiers mots, qu’il te fallait ma présence. Mais comment la perçois-tu ? Comment suis-je ce soir devant toi, sinon peut-être trop effacé devant celui que tu es ce soir, celui que tu es parfois et c’est toujours la nuit ? Le perçois-tu, mon recul, assis sur ce tabouret ? Qui sommes-nous ? Où ? Que mesurent les heures passées ensemble ?
Mercredi 19 février 2025
Lundi 17 février 2025
Je suis seul. C’est l’heure du déjeuner, je suis allé tôt au restaurant universitaire. Je suis installé sur les tables hautes, près des baies, derrière moi les étudiants passent. Un œil dans mes emails personnels. Depuis plusieurs jours, j’attends la réponse, je vois l’intitulé du message, fébrile je clique, lecture diagonale, je vois « Delighted ». La joie m’envahit. Presque les larmes. J’appelle maman. Le Japon, maman, le Japon !
Et puis, travail, collègues. Je leur dis mes réveils, mes journées, l’épuisement, ça ronge parfois. Aujourd’hui par exemple. Ils sont là, ils m’écoutent, ce n’est pas toujours très cohérent, ce n’est pas toujours très facile d’écouter son corps de se rappeler. Ils sont à la fois mes collègues et ceux qui cherchent à m’aider, depuis un an bientôt, un an ! Mais depuis combien d’années je vis ainsi, les yeux presque paresseux, les paupières qui se ferment au cinéma, les matins embourbés sous les draps, les nuits suantes. Je raconte parfois que lycéen, je me recouchais avant d’aller au lycée, en courant bien sûr ; souvent j’étais en retard, on ne me disait rien, privilège.
Dimanche 16 février 2025
Samedi 15 février 2025
Vendredi 14 février 2025
Le 14 février n’est pas une fête. Aujourd’hui, c’est encore autre chose. C’est une expérience, une folie qui fera dire aux amis : « Quoi ? Toi ? » Et me voilà, à 14h qui pousse la porte du studio 102.
Quelques heures plus tard, perdant maladroit à un jeu télévisé, je pars boire un verre avec Jocelyne, la femme qui m’a battue, et sa meilleure amie. Et nous rirons, rirons jusqu’à la nuit, jusqu’à 2 heures du matin et alors je m’éloigne du bar où nous avons dansé, dansé, grisé.
Jeudi 13 février 2025
Mardi 11 février 2025
Lundi 10 février 2025
Entre Cork et Kinsale, il y a le bourg de Belgooly, en amont d’un bras de mer glacé. Des hameaux poitrinaires s’y disputent la boue, la terre et les racines, les poignées d’herbes sales. L’un d’entre eux, situé en retrait de la route de Carrigaline, à l’est, est le hameau de Sugàan. C’est là que Finbarr Peary vint au monde, gras et splendide, d’une mère à demi morte et d’un père faible et brutal.
::: Maylis de Kérangal ; Ni fleurs ni couronnes





















































